J’ai une tendresse particulière pour le marché l’hiver.
Bien sûr, je dois m’emmitoufler, mettre un bonnet et mes vieux gants doublés, et au moment où j’attache mon vélo au panneau que j’ai réquisitionné pour cet usage, certains de mes doigts ne répondent déjà plus à l’appel. Mais quand j’arrive chez le marchand de légumes que je préfère et que les vendeurs me saluent d’un petit geste, leurs sourires joyeux disent clairement : « merci d’avoir bravé le froid pour venir nous voir ! » et je me sens alors pleine d’admiration pour eux, qui ont chargé le camion bien avant l’aube et devront encore passer quelques heures dans les courants d’air glacés du boulevard.
Et c’est en substance ce à quoi je pensais samedi matin, pendant que j’attendais mon tour en remuant les orteils, et que je déclinais poliment le quartier d’orange qui m’était tendu, le goût des agrumes se mariant affreusement mal avec celui du dentifrice. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai aperçu la caisse de choux de Bruxelles à l’arrière du stand.
Vert anis, serrés comme des petits poings, et guère plus gros que des calots, ils correspondaient précisément au profil recherché. En effet, quand on part en quête de choux de Bruxelles, le cahier des charges est le suivant : ils doivent être fermes et sans flétrissure ; plus ils sont petits, mieux c’est ; et il faut les choisir à peu près tous du même calibre, afin qu’ils cuisent de façon uniforme.
Comme la plupart des amateurs de choux de Bruxelles, j’y suis venue sur le tard. Quand j’étais petite, j’ai été quelque fois exposée à la redoutable version bouillie, à la cantine ou en colonie de vacances (comme si ce n’était pas assez pénible comme ça), mais lorsque je me suis moi-même mise à la cuisine, j’ai vite soupçonné qu’il devait y avoir moyen d’en tirer quelque chose de plus plaisant.
Et effectivement, il y a moyen, à condition que la cuisson soit à votre goût. En ce qui me concerne, la solution consiste à 1- les faire cuire à la poêle ou au four, de telle sorte que les choux soient cuits à coeur et dorés par endroits, mais surtout pas spongieux, et 2- leur associer une note sucrée, une note fumée, et/ou une note croustillante, pour désamorcer tout début de commencement d’amertume.
La recette d’aujourd’hui illustre bien ce principe : les oignons légèrement confits, le paprika fumé et les graines de courge grillées mettent subtilement en valeur ces choux miniatures, et prouvent à ceux qui en douteraient encore qu’ils ne méritent pas leur navrante réputation.
En passant, nous les avons mangés avec de fines tranches d’un filet de canard séché acheté chez le boucher bio du marché : salé et séché par ses soins, c’est de loin le plus moelleux et le plus parfumé que j’aie jamais goûté.