Parfois, lorsque j’ai une minute, je pense au monde de la cuisine, à son étendue, et aux myriades de rivières, collines et vallées qu’il me reste encore à explorer.
Cette constatation ne me décourage pas, bien au contraire : elle me rassure, me réconforte, me réjouit : tant que je peux lire des livres et me tenir debout dans une cuisine, ma vie ne manquera pas d’idées neuves, ni de découvertes, ni de projets.
Rien que cette semaine, j’ai reçu deux messages de lecteurs me proposant de partager leur savoir et leurs recettes s’il me prenait l’envie d’étudier la cuisine de leur pays natal (l’Argentine et la Turquie, rien de moins) et un exemplaire du livre de cuisine le plus rafraîchissant dans lequel il m’ait été donné de plonger ces derniers temps, Moro East, et dont pratiquement toutes les pages portent à présent un post-it sur le revers de leur pardessus.
Les meilleures muhammaras font appel à la mélasse de grenade : l’acidulé de cet épais sirop sert de détonateur au sucré des poivrons et à la discrète amertume des noix.
Autre exemple de l’infini foisonnement des idées comestibles : cette muhammara. Je ne me souviens plus au détour de quel chemin — sur quel site ? dans quel livre ? — je l’ai croisée, mais cette préparation orientale, sorte de caviar de poivrons grillés mixés avec des noix, m’a tout de suite séduite. Je n’avais jamais rien goûté de semblable, mais mes papilles mentales ne se sentaient plus de joie.
Mon enthousiasme s’explique en partie par le fait que les meilleures muhammaras font appel à la mélasse de grenade*, ingrédient chéri de la cuisine libanaise devenu très tendance sous nos latitudes. Ici, l’acidulé de cet épais sirop sert de détonateur au sucré des poivrons et à la discrète amertume des noix.
Bien évidemment, comme toute cuisinière influençable qui lit des magazines, je me suis moi-même procuré ma bouteille réglementaire de mélasse de grenade chez Heratchian Frères il y a quelques mois, mais avec une bouteille on a de quoi faire, et je suis toujours à la recherche de nouvelles utilisations. Cette muhammara est jusqu’ici la lauréate du prix des Plus Beaux Rôles de la Mélasse de Grenade, et elle est également nominée pour le trophée des Meilleures Tartinades Apéritives.
La recette ci-dessous a été élaborée selon ma méthode habituelle de recherche de recettes (rassembler, combiner, ajuster, bien mélanger, servir frappé) à ceci près que je me suis un peu mélangé les pinceaux sur le ratio noix/poivrons. Dans un premier temps, cette confusion m’a conduite à compléter mes réserves limitées de noix par des noix de cajou (une substitution des plus heureuses), puis à griller deux poivrons supplémentaires** lorsque je me suis aperçue que, tout compte fait, j’avais eu la main un peu lourde sur les noix.
Je me suis par conséquent retrouvée avec une quantité de muhammara qui dépassait largement mes besoins immédiats. J’ai congelé l’excédent dans deux petites boîtes que j’ai pu dégainer à deux autres occasions, sans perte de saveur et avec autant de succès. Je recommande donc ce modus operandi : on dort beaucoup mieux avec un « en cas d’urgence, brisez la glace » de muhammara dans le congélo.
La façon la plus tradi de servir la muhammara est de la présenter avec des pitas ou du pain lavash, mais c’est tout aussi bon sur de la baguette, et c’est particulièrement ébouriffant en petits canapés sur des tranches de concombre — si, si, essayez voir.
* La mélasse de grenade, ou mélasse de pomme de grenade, s’achète en épicerie orientale (achetez aussi du zaatar pendant que vous y êtes), généralement importée du Liban. Si vous n’en trouvez pas, The Cook’s Thesaurus suggère diverses alternatives ; c’est le vinaigre balsamique qui me paraît ici la plus appropriée.
** A propos de poivrons, j’aimerais vous livrer ma dernière révélation. Vous avez sûrement remarqué comme la chair du poivron grillé est visqueuse, et comme il est fastidieux de retirer les petites graines, toutes engluées dans ladite chair ? Eh bien maintenant, voilà : je retire les graines des poivrons avant de les faire griller. Je sais, c’est dingue. Lorsque les poivrons sont encore crus, je découpe au couteau tout autour du pédoncule, et je le retire ainsi que les graines qui viennent avec par solidarité. Je tiens ensuite chaque poivron la tête en bas, un par un, et je le tape sur toutes les faces du plat de la main, ce qui a pour effet de faire tomber les graines qui restent, et de produire un bruit creux assez rigolo. Les poivrons, ainsi décapités et étripés, sont ensuite enfournés selon la procédure classique.
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Ingrédients
- 1 kg de poivrons rouges, environ 5, bien fermes et lisses
- 130 g de cerneaux de noix
- 130 g de noix de cajou (non salées)
- 2 c.c. de graines de cumin entières
- 1/2 c.c. de sel fumé (ou bien du sel normal et du paprika fumé)
- 1/4 c.c. de piment en poudre (ou plus, selon votre goût)
- 2 gousses d'ail, pelées et dégermées
- 2 c.c. d'huile de noix ou d'olive
- 1 c.s. de jus de citron
- 2 c.s. de mélasse de grenade
Instructions
- Faites griller puis pelez les poivrons selon votre méthode préférée (la mienne est détaillée ici ; voir astuce supplémentaire dans le billet ci-dessus). Laissez refroidir complètement.
- Faites griller les noix, les noix de cajou et les graines de cumin dans une poêle sèche jusqu'à ce qu'elles libèrent leurs parfums. Laissez refroidir.
- Mettez la chair des poivrons et le reste des ingrédients dans le bol d'un mixeur ou d'un blender, et réduisez en purée, en raclant régulièrement les parois du bol. Goûtez, rectifiez l'assaisonnement, et tenez au frais jusqu'au moment de servir (voir note).
- Tartinez sur des rondelles de concombre ou servez avec des pitas, du lavash, ou de fines tranches de baguette.
Notes
- La muhammara est encore meilleure si vous la préparez la veille.
- Les restes peuvent être congelés dans un récipient hermétique. Placez un morceau de film plastique directement à la surface du muhammara (pour éviter la formation de cristaux), fermez le récipient et placez au congélateur. Pour décongeler, remettez le récipient au réfrigérateur la veille au soir.