J’étais une enfant volontaire qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Une enseignante a un jour écrit sur mon bulletin que j’étais l’enfant le plus grand de ma classe et que ma mère m’appelait son « enfant viking ». Je ne sais pas si c’était en référence à mon héritage balte — bien que les Lettons n’aient jamais été vikings à ma connaissance — ou simplement parce que j’avais des manières et une stature un peu brusques, ce qui était d’ailleurs tout à fait vrai, je l’avoue.
Ma mère était une personne tout aussi décidée, et elle semblait heureuse d’avoir un enfant qui partageait ce trait de caractère, même lorsque nous étions en opposition sur des sujets tels que le contenu de ma boîte-repas pour l’école. Le dialogue était encouragé, mais je n’étais pas facile et je crois avoir souvent épuisé ma pauvre mère à râler, négocier ou piquer des crises.
J’adorais sa cuisine ; je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement. Elle aimait tellement ça, et y mettait tant de soin et d’attention. Les gens se pressaient à sa table, heureux de passer du temps avec elle pendant qu’elle cuisinait. Elle demandait souvent à ses convives de goûter ses plats et de donner leur avis sans filtre. Ce n’était pas une cuisinière qui en faisait des tonnes, ou qui gardait ses secrets pour elle : elle avait vraiment à coeur de partager ses plats, ses recettes et des conversations animées.
Pour autant, ce n’était pas toujours facile d’être l’enfant qui mange des « trucs bizarres ». Ma mère avait des avis très arrêtés sur ce qui était bon ou mauvais pour un enfant, et pour les gens en général, et elle ne transigeait pas là-dessus. Mes camarades de classe et mes copains du quartier étaient sans doute heureux de découvrir chez nous le pain d’épices, le saumon et les asperges, mais je leur enviais leurs Oreos, leur fromage américain en tranches et leurs « jus de fruits » fluorescents.
Il y a des fois où je voulais juste être comme les autres, avec des barres de céréales bourrées de chocolat dans ma boîte-repas plutôt qu’un kiwi, ou un sandwich au Wonderbread plutôt qu’au pain au levain de chez Bread Alone. J’arrivais quand même à remporter certaines batailles (les cuirs de fruit avec la Petite Sirène à gratter dessus), mais j’en ai perdu d’autres (pas de biscuits de supermarché !). J’ai donc continué à être l’élève de CP avec ses yaourts au lait de chèvre et son gouda fumé. Des années plus tard, une amie d’enfance m’a dit qu’elle avait toujours été jalouse de mes repas. « Moi je n’avais que des sandwichs au thon, m’a-t-elle dit, et éventuellement un yaourt. Toi, ce que tu mangeais était excitant ! » Elle avait raison.