La première fois que nous avons goûté aux warabi mochi, c’était au sous-sol du grand magasin Tokyu dans le quartier de Shibuya, à Tokyo. Au beau milieu de cette débauche merveilleuse d’aliments de toutes sortes — sucrés, salés ou un peu des deux, frais, séchés, chauds, froids — une dame se tenait derrière un petit stand, et proposait de faire goûter des petits morceaux d’une pâte souple, recouverte d’une poudre brun clair.
Un coup de pique en bois, un morceau chacun, et une surprise divine. C’était absolument délicieux. En enrobage, j’ai reconnu le kinako, une poudre faite avec du soja grillé et moulu ; l’intérieur, d’une texture fraîche et lisse, offrait un soupir de résistance avant de se dissoudre sur une note délicatement sucrée.
Nous étions tout prêts à en acheter sur le champ, mais la dame a pris la peine de nous expliquer qu’il fallait impérativement les manger le jour-même (avant minuit, sinon ça se transforme en gremlins), et la journée était trop avancée et la boîte trop grosse pour que nous puissions prendre ce genre d’engagement.
Plus tard, lorsque notre voyage nous a menés dans la région du Kansai, nous avons commencé à en voir un peu partout, découpés en petits cubes, en pavés allongés, ou en boules molles, alanguies les unes contre les autres dans la barquette. On s’en est offert (presque) à chaque fois que l’occasion se présentait, sans savoir ce que c’était ni comment ça s’appelait, mais toujours sous les vivats de nos papilles.
Et puis un jour, au marché de Nishiki-dori à Kyoto, la boîte que nous avons achetée avait une belle étiquette, et sur la belle étiquette j’ai pu déchiffrer en hiragana : wa-ra-bi-mo-chi.
Le soir-même, j’ai fait une petite recherche, et j’ai appris qu’il s’agissait effectivement d’une spécialité du Kansai, particulièrement appréciée pendant les mois d’été. Et quoiqu’ils en portent le nom, les warabi mochi ne sont pas des mochi comme les autres, à base de farine de riz gluant (mochiko ou shiratamako). Non, les warabi mochi ne font rien comme tout le monde et sont préparés avec du warabiko, une fécule extraite de la racine d’une variété de fougère particulière.
Dans mon petit carnet de voyage, à la page qui listait tout ce que je voulais rapporter du Japon, j’ai donc écrit: warabiko.
En retournant au marché de Nishiki-dori, j’ai repéré une échoppe qui vendait toutes sortes de poudres et de farines, et demandé s’ils vendaient du warabiko. Ils en vendaient, mais la propriétaire, aidée de sa fille qui ne parlait en fait pas tellement plus anglais que nous japonais, a réussi à nous faire comprendre que le vrai warabiko était très, très cher (de l’ordre de ¥30.000 — 260€ — pour un petit paquet de 300g), mais qu’elles pouvaient nous proposer un substitut plus abordable appelé warabimochiko, du warabiko coupé avec de la fécule de patate douce et de tapioca (¥300 pour la même quantité). Est-ce que ce serait quand même oishii (délicieux) ? Oui, m’ont-elles affirmé avec conviction.
Et effectivement, vu le prix auquel étaient vendus les différents warabi mochi que nous avions mangés, il n’y avait aucune chance pour qu’ils aient été faits avec de la fécule de warabi pure. J’ai donc acheté un sachet de la version low-cost, et la dame m’a gentiment glissé un petit paquet de kinako en cadeau. Après avoir échangé une profusion de arigatos et de légères inclinaisons du haut du buste, nous sommes repartis en flottant à quelques centimètres du sol, ravis de ce petit épisode.
Une semaine à peine après notre retour, j’ai sorti les paquets et je me suis mise au travail. En plus du feuillet d’instructions (en japonais, ça va sans dire) joint à la fécule, j’avais cherché des recettes sur internet, et quoiqu’il n’y en ait que très peu en anglais ou en français, j’avais quand même trouvé assez d’infos pour me sentir prête.
Le déroulé de la recette est très simple : on mélange la fécule avec de l’eau et du sucre, et on fait chauffer ce mélange jusqu’à ce qu’il épaississe. On verse ensuite cette pâte collante sur le plan de travail saupoudré de kinako, avant de la couper en petits morceaux que l’on enrobera à leur tour de kinako. (On peut aussi verser la pâte dans de l’eau glacée au sortir de la casserole, pour une sensation plus fraîche en bouche).
Quelques minutes plus tard, mes warabi mochi étaient prêts ; il n’y avait plus qu’à les laisser refroidir. Armés de cure-dents, nous en avons goûté un morceau, puis deux, puis deux de plus, avec un large sourire : c’était exactement ça ! J’avoue qu’au fond de moi, j’avais un peu de mal à croire que j’allais pouvoir reproduire ces fameux warabi mochi dans ma cuisine parisienne, et pourtant si : c’était précisément le même goût et la même texture que ce que nous avions goûté là-bas.
Evidemment, il manquait le décor japonais, mais nous avons choisi de ne pas trop nous attarder sur ce détail, pour mieux nous concentrer sur les mochi. Et maintenant que j’ai trouvé où acheter du warabimochiko à Paris (voir note en bas de recette), je ne serai pas victime du syndrôme du too good to use* et je pourrai nous faire des warabi mochi dès que la nostalgie s’en fera sentir.
Voir aussi : la recette des daifuku mochi à la fraise.
* En référence à un billet de David Lebovitz, c’est lorsqu’un ingrédient paraît si rare et précieux qu’on n’arrive pas à l’utiliser, et qu’on finit par le laisser se périmer à force d’attendre.
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Ingrédients
- 60 g de warabimochiko (voir note au bas de la recette)
- 240 ml d'eau tiède
- 50 g de sucre (j'ai utilisé du sucre blond de canne non raffiné)
- environ 30 g de kinako (poudre de soja grillé, en épicerie japonaise)
Instructions
- Mettez le warabimochiko dans un saladier. Ajoutez l'eau petit à petit en fouettant bien pour dissoudre la fécule et obtenir un mélange sans grumeaux. Ajoutez le sucre et fouettez pour le dissoudre. Vous obtiendrez un mélange assez liquide.
- Tamisez le kinako et saupoudrez-le sur une feuille de cuisson en silicone ou dans un plat à gratin. (Sur la photo ci-dessous, je n'avais pas tamisé le kinako, et après j'ai regretté.)
- Versez le mélange à la fécule dans une casserole et placez-la sur feu moyen. Mélangez à la cuiller en bois vigoureusement et sans arrêt, pendant que la pâte épaissit et devient élastique.
- La pâte va progressivement devenir translucide.
- Quand elle est complètement translucide, retirez du feu et versez la pâte sur le kinako en raclant la casserole à la spatule ; la pâte sera très collante. (On peut aussi la verser -- en entier ou en petits morceaux -- dans un saladier d'eau glacée pour la rafraîchir, avant d'égoutter et de recouvrir de kinako.)
- Saupoudrez le dessus avec du kinako et utilisez un coupe-pâte (ou un grand couteau) saupoudré de kinako pour couper la pâte en petits morceaux de la taille d'une bouchée.
- Séparez les morceaux les uns des autres et roulez-les délicatement dans le kinako. Laissez refroidir complètement avant de déguster.
- Mettez les morceaux dans un plat de service avec une bonne dose de kinako sur le dessus (l'excédent peut être reversé dans le paquet) et servez avec des cure-dents. (Au Japon, on les mangeait avec des petites piques en bois plates et biseautées, qui rappelent la forme du kuromoji, l'ustensile avec lequel on coupe les pâtisseries servies pendant la cérémonie du thé.)
Notes
Les warabimochi se gardent un jour ou deux à température ambiante (malgré ce que disait la dame). Ne les mettez pas au frais, sinon ils durciront.
Notes sur les ingrédients :
Grâce à Hiroyuki, qui a bien voulu éclairer ma lanterne, je sais maintenant qu’il y a trois types de fécules que l’on peut utiliser pour faire des warabi mochi :
– Le hon warabiko (hon = authentique) est fait à 100% de fécule de warabi. Il se présente sous forme de gravillons couleur argile et coûte très cher, mais c’est la saveur originale des warabi mochi (je n’ai jamais goûté). On obtient une pâte d’une couleur sombre, plus collante qu’avec les farines ci-dessous.
– Le warabiko contient un pourcentage significatif de fécule de warabi, complété par de la fécule de patate douce et de tapioca.
– Le warabimochiko, c’est celui que j’ai acheté. Il contient un faible pourcentage de fécule de warabi et coûte beaucoup moins cher. Il se présente sous la forme d’une poudre fine ou de gravillons de couleur blanche.
Pour trouver l’une ou l’autre de ces fécules en dehors du Japon, tentez votre chance dans les épiceries japonaises. Si vous n’en trouvez pas, vous pouvez utiliser du katakuriko (fécule de pomme de terre) à la place ; c’est de cela qu’on se sert pour l’extérieur des daifuku mochi et on en trouve plus facilement, tout du moins à Paris. Hiroyuki propose une recette qui permet de faire une version des warabi mochi avec du katakuriko.
A Paris, le seul endroit à ma connaissance où l’on trouve du warabimochiko, c’est chez Kanae, au 118 rue Lecourbe dans le 15ème, 01 40 59 98 03 (voir carte). C’est vendu 2,30€ pour 180g, soit environ 30% plus cher que ce que j’ai payé au Japon, ce qui ne me paraît pas délirant. (J’en ai cherché aussi dans les épiceries du quartier japonais de la rue Sainte-Anne et sur les sites d’épicerie japonaise en ligne, mais sans succès.)
On peut aussi servir les warabi mochi avec un filet de kuromitsu (un sirop de sucre de canne non raffiné) en plus du kinako. Dans ce cas, on peut mettre un peu moins de sucre dans les mochi eux-mêmes pour compenser.