Ceci est un billet proposé par Anne Elder, ma merveilleuse stagiaire, à propos du voyage de classe* qu’elle a fait récemment dans le Jura. Il est illustré de ses propres photos. Merci pour le partage, Anne !
Quand j’aperçois les panneaux sur le bord des routes en France, j’ai toujours l’impression que je m’apprête à rencontrer des célébrités, tant le nom des villes et des villages évoquent les étiquettes de mes aliments préférés, dégustés habituellement dans ma micro-cuisine parisienne.
J’ai ressenti le même enthousiasme en arrivant dans le Jura, cette région au sud de la Bourgogne, juste à côté de la frontière Suisse, qui est souvent oubliée des touristes. C’est pourtant une région montagneuse et luxuriante qui se prête à la production de nombreux produits de terroir.
Le concept de terroir est omniprésent dans la cuisine française (et, imaginez-vous, de plus en plus dans la cuisine américaine) depuis des siècles.
Quand on déguste un produit du terroir, on goûte la terre qui lui a donné naissance : le sol, le climat, le savoir-faire de l’homme. Ce concept s’applique à une grande variété de produits, du fromage, et de l’influence de l’alimentation des vaches montbéliardes sur son goût, jusqu’au vin et à tous les facteurs qui influent sur le goût du raisin et la complexité de la boisson qu’on en tire.
Le Jura est une mine d’or pour qui s’intéresse au terroir. Equipés de bottes de pluie et de carnets, mes camarades de classe et moi-même étions déterminés à apprendre comment déguster la France. Nous avons gravi des collines, admiré les sapins (ceux-là même qui servent à fabriquer les planches pour l’affinage du comté) et nous avons séjourné dans un gîte.
Pendant ces cinq jours dans le Jura, nous avons eu l’opportunité de découvrir la production du fromage de la ferme à l’affineur, de déguster le vin directement dans les fûts de chêne, et de goûter les recettes et produits régionaux préparés par des hôtes généreux.
Si vous avez l’occasion de vous balader dans le Jura, voici les produits à ne pas manquer.
Fromage
Le Jura est la patrie du fromage le plus populaire en France : le comté.
Le comté est fabriqué avec le lait de vaches montbéliardes, avec leur belle robe blanche tachetée de marron. (Exactement ce que mon coeur d’Américaine espérait voir dans la campagne française !) La couleur du fromage permet de deviner quand il a été fabriqué : le comté est jaune l’été, quand les vaches broutent de l’herbe fraîche, alors que le comté des mois d’hiver, lorsque les vaches se nourrissent de foin, est presque blanc.
Une fois que le lait est caillé et pressé en meules à la fruitière, il faut que le comté soit affiné pendant 4 mois au moins** sur les planches de bois de sapin. Si la moindre étape du cahier des charges n’est pas respectée, le fromage ne peut pas être vendu comme du comté.
Deux comtés différents n’auront pas (ni ne doivent avoir) le même goût. Chaque meule de fromage développe des arômes et des saveurs uniques qui dépendent de la vache, de la laiterie et de l’affinage. Un système très strict est en place dans la région pour s’assurer que le fromage est de haute qualité, mais ça ne veut pas dire que les fromages seront tous pareils (= une très bonne chose).
Historiquement, le morbier était fabriqué à l’issue de la traite du matin ou du soir, s’il ne restait pas assez de lait pour faire une meule complète de comté. On versait ce reste de lait dans un moule plus petit, on le recouvrait avec de la cendre pour le protéger des insectes, et on terminait avec du lait issu de la traite suivante. Bien sûr, aujourd’hui, le morbier est fabriqué en tant que tel, mais on a gardé en souvenir cette ligne cendrée qui court en son milieu. C’est un fromage plus tendre et plus crémeux que le comté.
Le Mont d’Or est un fromage au lait cru très saisonnier, qui n’est vendu que d’octobre à mars. Si vous en trouvez, creusez un cercle au centre avec une cuillère, versez un peu de vin blanc dans cette douve fromagère, et mettez au four pour une mini-fondue.
La cancoillotte est un fromage au lait cru liquide, que l’on trouve nature ou aromatisé (à l’ail, au vin jaune, etc.). C’est délicieux versé sur des pommes de terre chaudes.
Vin
Le Jura a beau être la région viticole la plus petite de France (bon à savoir pour votre prochaine partie de Trivial Pursuit), c’est là qu’a été créée la toute première appellation, en 1936, pour protéger le vin d’Arbois (vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous a rien appris).
Le raisin pousse sur les plis géologiques de la période jurassique (c’est la région qui a donné son nom à la période), et d’ailleurs sur le vignoble que nous avons visité, on trouvait des huîtres fossilisées au pied des vignes.
Nous avons été reçus au Domaine de la Renardière à Pupillin, qui produit des vins nature. Jean-Michel, le vigneron, fait pousser des cultures complémentaires au milieu des vignes, comme par exemple des radis et des fèves, pour favoriser leur pousse.
Le vin jaune
Le vin jaune a un goût très particulier, un peu comme un vin cuit, du fait de son vieillissement de sept ans en fût. Il est d’une couleur jaune d’or, particulièrement belle au soleil. Son parfum se révèle d’autant mieux qu’on le laisse s’oxyder un peu dans le verre. C’est parfait à l’apéritif, avec du fromage (surtout les fromages de la région), ou pour cuisiner (pour un poulet mijoté avec des champignons, par exemple).
Il ne faut pas confondre vin jaune et vin de paille, même s’ils sont tous les deux produits dans le Jura. Pour le vin de paille, on fait sécher les raisins sur un lit de paille pendant au moins six semaines, et le vin est vieilli en fût pendant trois ans.
Pendant longtemps, on faisait peu de cas des vins du Jura, qui étaient surtout distribués localement. On leur reprochait d’être trop légers à une époque où la mode était plutôt aux vins robustes. Mais ils gagnent aujourd’hui en popularité un peu partout dans le monde.
Les principaux cépages cultivés dans le Jura sont le Ploussard et le Trousseau, le Trousseau étant une rareté qui ne pousse que sur 101 hectares dans le monde ! Ces raisins produisent un vin plutôt léger, avec des notes de terre et de fruits rouges, et une robe qui rappelle celle des vins rosés. C’est donc intéressant de les déguster à l’aveugle, avec des verres noirs qui cachent leur couleur.
Autres produits du terroir jurassien
Miel
Le miel qu’on peut acheter dans la région est exceptionnel. Mon préféré est le miel d’acacia, un miel clair et doux. Si vous avez l’occasion de vous arrêter à Arbois, il faut absolument rendre visite au chocolatier Hinsinger, un Meilleur Ouvrier de France, et déguster son chocolat signature garni d’une ganache au miel, et décoré avec un motif de rayon de miel.
Saucisse de Morteau
Aussi connue sous le nom de « Belle de Morteau », cette saucisse est préparée avec la viande de porcs nourris avec le petit-lait issu de la fabrication du fromage. C’est la saucisse la plus tendre et la plus savoureuse que j’aie jamais goûtée. En général, on la fait mijoter dans une cocotte avec des pommes de terre, pour un repas très réconfortant.
Lors d’un déjeuner particulièrement ensoleillé à La Petite Échelle, une petite auberge à la frontière franco-suisse, nous nous sommes retrouvés avec la France à nos pieds et la Suisse à perte de vue.
Après avoir partagé une cassolette de fondue avec mes compagnons — fondue préparée avec du comté affiné et une bonne pincée d’aspérule, une herbe de la région qui donne au fromage un goût sucré proche de la vanille — on a failli tomber de nos chaises en voyant arriver la suite : des planches de rösti garnis de tranches de saucisse de Morteau.
C’est à ce-moment là que j’ai commencé à me demander si c’était effectivement un voyage pour nous apprendre l’art de la dégustation, ou juste pour nous engraisser, façon Hansel et Gretel.
Pas d’escapade prévue dans le Jura ? Les Parisiens pourront retrouver les produits de terroir décrits ci-dessus à la Jurasserie Fine à Montmartre.
* Ce voyage était organisé dans le cadre du module Food, Culture, and Communication enseigné par Christy Shields à l’Université américaine de Paris. Mille mercis à Christy pour son aide et ses corrections !
** C’est ce qui permet au comté d’être vendu aux États-Unis : les fromages au lait cru peuvent y être importés à partir de 60 jours d’affinage. Nous sommes donc privés de bon camembert au lait cru, mais pas de Parmesan.