Aria Beth Sloss est l’auteur du roman Autobiography of Us qui vient de sortir en poche aux Etats-Unis.
Elle est aussi mariée à Dan Barber, le chef de génie qui est à la tête de Blue Hill à New York, où ils vivent. Je suis en contact avec Aria depuis que j’ai publié cette interview-frigo de Dan : j’avais annoncé la publication imminente de son roman, et elle m’avait remerciée en me proposant de m’en envoyer un exemplaire, que j’ai lu avec beaucoup de plaisir.
Dan et Aria ont eu une petite fille l’année dernière, et dans l’esprit de ma série Les Parents qui cuisinent, je brûlais de savoir comment leur vie culinaire avait changé depuis sa naissance. J’espère que vous apprécierez autant que moi de découvrir l’approche et les astuces d’Aria, ainsi que les deux recettes qu’elle nous livre plus bas.
Edith a eu un an le mois dernier. J’ai toujours levé les yeux au ciel quand j’entendais les gens attribuer une personnalité complexe à leurs nouveaux-nés, et l’univers s’est vengé en me donnant une petite fille qui est exactement la même depuis le jour de sa naissance : gaie, déterminée, avec des opinions bien à elle, et très drôle. Je n’aurais jamais imaginé que quelqu’un d’aussi petit puisse me faire rire autant.
Est-ce que l’arrivée de ta fille a changé la façon dont tu cuisines ?
J’ai un peu honte, parce que le changement n’est pas tant dans ma façon de cuisiner que dans le fait que je cuisine tout court. J’ai toujours été plutôt pâtisserie ; mon mari est cuisinier, donc pendant des années ça fonctionnait parfaitement. Et puis cette nouvelle petite personne est arrivée chez nous, et il s’est avéré qu’on ne pouvait pas la nourrir exclusivement de gâteaux et de biscuits.
Quand Edith a commencé la diversification, vers six mois, on a pris le pari un peu fou de sauter l’étape des purées et de lui donner à la place une version modifiée (moins de sel, pas de petits aliments présentant un risque d’étouffement comme les haricots secs, etc.) de ce que nous mangions. [Note de Clotilde : en français, on appelle ça la diversification menée par l’enfant.] Le premier mois, on était toujours un peu sur le qui-vive, mais à part ça, cette approche nous a bien convenu.
Et puis cette nouvelle petite personne est arrivée chez nous, et il s’est avéré qu’on ne pouvait pas la nourrir exclusivement de gâteaux et de biscuits.
Quand mon mari est là pour le dîner, il prépare des plats qui ressemblent beaucoup à ceux qu’il cuisinait avant la naissance de notre fille — des omelettes superbes, des salades avec des céréales et des légumes rôtis, des tartines de fromage frais avec un trait de vinaigre et des herbes fraîches — et on mange tous ensemble.
Pour les soirs où il est au restaurant, j’ai développé quelques recettes inratables : une soupe de lentilles (les bébés aiment la soupe, qui l’eut cru ?), des omelettes moins esthétiques mais acceptables, des toasts à l’avocat écrasé, des patates douces au beurre miso [recette ci-dessous !] et quelques plats simples comme des nouilles soba avec de l’huile de sésame grillé et du brocoli. Et puis j’ai commencé à faire des essais avec la farine de blé germé, qui rend les pâtisseries plus intéressantes sur le plan nutritionnel.
Est-ce que tu te souviens de ce que c’était que de cuisiner avec un nouveau-né ? As-tu des astuces ou des conseils pour les jeunes parents qui traversent cette phase ?
Mon premier conseil serait : n’épousez pas un chef ! Sinon, votre entourage sera trop intimidé pour vous apporter des petits plats, alors que bien sûr, c’est ce dont tout foyer avec un nouveau-né a désespérément besoin.
Quelques semaines après la naissance d’Edith, un ami qui a un enfant d’un an de plus nous a apporté un paquet de mini brioches de supermarché à la cannelle. « Vous ne les mangerez probablement pas, m’a-t-il dit, mais c’est ce qui nous a sauvé la vie. » Il avait raison : on ne les a pas mangées, mais j’ai été si touchée par le geste que je les ai gardées bien en vue dans la cuisine pendant deux semaines avant de les jeter. Tout ça pour dire que si vous avec des amis ou de la famille qui peuvent vous aider sur ce plan-là, c’est le moment de faire appel à eux !
Mon premier conseil serait : n’épousez pas un chef ! Sinon, votre entourage sera trop intimidé pour vous apporter les petits plats dont vous avez désespérément besoin.
Sinon, soyez indulgents avec vous-mêmes. Je crois beaucoup au plat « moitié fait maison ». Si vous arrivez à mettre des haricots secs à mijoter quelques heures mais que faire cuire du riz est au-dessus de vos forces, commandez-en au traiteur chinois le plus proche (c’est là qu’on est content d’habiter à New York), coupez une tomate en petits morceaux et ajoutez un peu de coriandre.
Si vous n’avez jamais pu finir les sandwiches du déjeuner parce que vous étiez trop occupé à _____ (insérez ici l’activité chronophage de votre choix : frotter des bodys, laver des biberons, vous arracher les cheveux en essayant de monter le transat), découpez-les en jolis petits rectangles façon tea sandwich et complétez avec des épinards ou du bok choy rapidement sautés à la poêle.
On mange rarement de la viande chez nous, ce qui est probablement un avantage quand il faut faire simple et rapide. On est épuisé avec un nouveau-né, mais il faut garder l’esprit clair, et manger sain et léger est le meilleur cadeau que vous puissiez vous faire.
Au fil du temps, as-tu mis au point des recettes ou des stratégies qui te permettent de jongler entre la préparation des repas et ta fille ?
Comme dans beaucoup de domaines de la vie de parents j’imagine, la clé est de s’organiser. Ce qu’il faut éviter, c’est de se retrouver face à une ribambelle d’ingrédients qui demandent beaucoup de préparation, ce dont inévitablement vous ne prendrez conscience qu’au moment où votre enfant se met à hurler de faim.
Les patates douces rôties — notre variété préférée, ce sont les patates douces japonaises blanches à la chair ferme — sont formidables pour ça. On peut les garder au réfrigérateur quelques jours et les faire réchauffer rapidement ; c’est pareil pour les soupes et les plats mijotés.
On a aussi la chance d’avoir une cuisine de restaurant où l’emmener. Elle pourrait observer les cuisiniers de Blue Hill pendant des heures.
Toute la préparation du repas est divertissante pour un bébé un peu plus grand. On a toujours gardé Edith avec nous dans la cuisine, et en général elle est ravie qu’on la porte sur la hanche pour qu’elle voie ce qui se passe dans la poêle ou la casserole. Les ustensiles de cuisine sont aussi des jouets parfaits pour les bébés : les casseroles, les spatules, les tasses à mesurer…
Quand elle était toute petite, j’ai souvent cuisiné avec elle en écharpe, et elle s’assoupissait assez vite. Pendant ce temps-là, je me disais qu’elle s’habituait aux sons et aux odeurs des fourneaux.
Dans notre cas, on a aussi la chance d’avoir une cuisine de restaurant où l’emmener. Elle pourrait observer les cuisiniers de Blue Hill pendant des heures. Ces bruits de casseroles, ces jeunes gens qui s’agitent en tous sens, ces piles de fruits et légumes aux couleurs vives… C’est un drame quand il faut partir.
As-tu déjà trouvé des moyens d’impliquer ta fille dans ta cuisine ?
A mon sens, l’implication en cuisine est une question de proximité : même si un enfant n’est pas directement en train de cuisiner, le fait d’être dans les parages est probablement suffisant pour éveiller sa curiosité et poser les fondations de sa culture culinaire. Pour ma part, j’attribue mon amour de la cuisine aux nombreux après-midis que j’ai passés dans ma chaise haute pendant que ma mère préparait le dîner.
J’attribue mon propre amour de la cuisine aux nombreux après-midis que j’ai passés dans ma chaise haute pendant que ma mère préparait le dîner.
C’est excitant à regarder, toute cette activité, et comme il y a des odeurs et des saveurs, c’est mille fois plus intéressant que la télévision. Au restaurant, je me dis qu’elle est triplement exposée, puisqu’il y a encore plus de cuisiniers, d’ingrédients, d’odeurs, sans parler de l’énergie tourbillonnante qui règne dans une cuisine professionnelle. J’ai hâte de pouvoir lui mettre une petite veste de chef et de la faire participer.
En attendant, quand je cuisine, j’essaie de lui proposer un ingrédient qu’elle peut grignoter — une lamelle d’avocat si je fais des toasts à l’avocat, un bâtonnet de patate douce si je fais mijoter des légumes, un morceau de poire mûre qui fera notre dessert. Moi-même, je goûte tout en cuisinant, donc ça me paraît normal de lui en faire profiter aussi.
Peux-tu nous parler des joies et des difficultés que tu as rencontrées en nourrissant ta fille, et en essayant de lui apprendre à être une mangeuse heureuse et audacieuse ?
J’ai été émerveillée de voir à quel point il est gratifiant de voir Edith manger. Je crois que ça touche à quelque chose de très profond dans la parentalité que ce soit un tel plaisir de voir son enfant manger avec bonheur quelque chose qu’on a préparé.
J’espère que je vais réussir à garder une approche assez détendue de ses habitudes alimentaires. On a décidé assez tôt de ne jamais 1) la forcer à manger quoi que ce soit, ni 2) organiser les repas autour de ses prédilections, et je crois que jusqu’ici ça a grandement contribué à faire de nos repas des moments joyeux et agréables pour tous.
On a pris l’habitude d’incorporer une large palette d’ingrédients et de saveurs dans les plats les plus simples.
J’ai aussi pris sur moi de la laisser se nourrir seule depuis le tout début. J’y croyais sur un plan intellectuel et pseudo-psychologique — pourquoi ne pourrait-elle pas prendre dès le début une part active dans son alimentation ? — tout en me disant que ça pouvait être un désastre monumental en pratique. Mais ça a été génial ! Ce n’est pas toujours joli à voir, certes, mais j’ai trouvé des bavoirs qui sont pratiquement des combinaisons de protection intégrales, et on y va gaiement. Ça peut paraître bizarre, mais quand on réfléchit aux six mois qui viennent de s’écouler, mon mari et moi-même avons l’impression que la meilleure chose qu’on ait faite pour l’alimentation d’Edith, c’est de la mettre aux commandes.
On a aussi pris l’habitude d’incorporer une large palette d’ingrédients et de saveurs dans les plats les plus simples. Par exemple, je fait régulièrement cuire une grande quantité de flocons d’avoine qui nous fait quelques petits déjeuners. Quand j’en fais réchauffer, j’ajoute un trait de lait d’amande, une pincée de cannelle [sc:cinnamon_link] et un peu de gingembre râpé. Le restaurant de mon mari a lancé une ligne de yaourts salés, et j’en ajoute souvent une cuillerée — celui au panais est notre préféré en ce moment. Ce sont des goûts assez forts, mais elle adore.
Je mets un peu de curry et de lait de coco dans la soupe de lentilles que je lui donne [recette ci-dessous !], une pincée de paprika dans l’avocat écrasé, du persil haché sur une tartine de ricotta. Un autre exemple, c’est les céréales : j’ai remplacé la farine blanche par de la farine complète germée pour certaines des recettes de muffins qu’elle adore dans ce livre, et mon mari rapporte du restaurant du sarrasin et du farro [Note de Clotilde : c’est une sorte d’épeautre] qu’on met dans les soupes.
J’ai tendance à penser que les enfants sont beaucoup plus ouverts qu’on ne le croit. Et si on ne leur représente pas le monde des saveurs dans ce qu’on leur sert, comment pourraient-ils réaliser combien ce monde est vaste et passionnant ?
La Soupe de lentilles d’Aria
J’aime bien utiliser les toutes petites lentilles noires beluga, mais bien sûr on peut prendre n’importe lesquelles. J’utilise du bouillon quand on en a, mais sinon je mets de l’eau salée, dans un ratio liquide/lentille de 2 pour 1. Comme je ne suis pas dingue d’oignons, je coupe un oignon en quatre, je le fais cuire avec les lentilles, et je l’enlève quand les lentilles sont tendres. A la fin de la cuisson, j’ajoute l’un des ingrédients suivants : une pincée de cannelle et une pincée de curry, ou une petite cuillerée de très bonne harissa, ou une cuillerée de lait de coco et un peu de piment en poudre.
Les Patates douces au miso d’Aria
Faites rôtir des patates douces japonaises jusqu’à ce qu’elles soient tendres. Pelez et coupez en rondelles. Pour Edith, je les coupe en bâtonnets pour qu’elle puisse les tenir facilement. Dans une petite poêle, faites fondre une noix de beurre jusqu’à ce qu’il commence à mousser, et ajoutez une cuillerée de miso blanc assez doux. Mélangez doucement jusqu’à ce que le miso ait fondu, puis faites sauter rapidement les patates douces dedans en les tournant pour qu’elles soient bien recouvertes.