Aujourd’hui je vous propose une interview de Domantas Užpalis, un chocolatier bean-to-bar Lituanien qui m’a contactée il y a quelques mois pour me parler de son projet, Chocolate Naive : lui et son équipe fabriquent leur propre chocolat à partir des fèves de cacao dans une manufacture basée dans la campagne lituanienne.
Il a proposé de m’envoyer des échantillons de leur nouvelle collection, qui comprend un chocolat au lait à 43%, un chocolat d’Ouganda à 68% à la fleur de sel, un chocolat de Grenade à 71% et un chocolat cannelle et orange à 63%. J’ai reçu les tablettes, je les ai goûtées, et j’ai été vraiment impressionnée : c’était de l’excellent chocolat, complexe et raffiné. J’étais aussi hautement intriguée par son histoire, et j’ai donc demandé à Domantas s’il voulait bien répondre à quelques questions. (L’interview a été réalisée en anglais et traduite par mes soins.)
Il s’avère que ce timbré de chocolat (c’est lui qui le dit) est un sacré personnage, et j’espère que vous aurez autant de plaisir que moi à découvrir ses aventures chocolatières. En tout cas, ça me donne bien envie d’aller faire un tour en Lituanie pour voir sa dacha et sa fabrique de chocolat !
Et si vous aussi vous voulez goûter son chocolat, il est distribué dans quelques magasins en Europe et on peut le commander sur le site de Chocolate Naive.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et votre parcours ?
Je m’appelle Domantas Užpalis — yeux bleus, taille moyenne, grand sourire. Plus sérieusement, je suis le fondateur de ce projet bizarre appelé Chocolate Naive. Nous fabriquons du chocolat au milieu de nulle part depuis un an et demi. Nous sommes des chocolatiers à petite échelle qui créons du chocolat à partir des fèves de cacao dans la campagne lituanienne. J’ajoute qu’en ce moment-même, je vis mon rêve !
Quelle séquence d’événements vous a amené à créer Chocolate Naive, et quelle est votre vision ?
Toute ma vie j’ai évolué dans le monde de l’entreprise — finance, marketing, assurance. J’ai obtenu une maîtrise de dévelopement urbain à Londres, et en 2008 je suis rentré en Lituanie, plein d’arrogance et de confiance en moi. Je m’attendais à entamer une belle carrière, mais la crise mondiale a tout chamboulé. Et je me suis retrouvé sans travail, isolé socialement, sans vie personnelle, en mauvaise santé, avec des économies qui filaient à toute allure. Quand je repense à cette période, je peux dire que j’étais au plus bas. Pendant plus de deux ans j’ai littéralement lutté pour survivre.
La solution était évidente : quoi d’autre que le chocolat ? Je suis passé de l’extrêmement négatif à l’extrêmement positif. J’ai acheté une tonne de fèves de cacao et je me suis lancé à corps perdu dans le chocolat. Les fèves sont arrivées dans mon entrepôt : un tas de sac de jute remplis de cacao aromatique. Je n’avais aucune idée de comment les transformer, ni où, ni de quelle machines j’avais besoin, mais à partir de ce moment, nous avons rapidement commencé à assembler le puzzle.
D’abord, nous nous sommes installés dans la campagne près du lac. Nous avons fait un emprunt et les premières machines ont commencé à arriver dans notre dacha rustique au milieu de nulle part. Des tablettes robustes ont vu le jour avec l’aide de notre employée locale, Kristina, mère de sept enfants, qui est maintenant notre chef de production. Sa fille Sabina nous a rejoints il y a quelques temps, donc on peut dire que nous sommes véritablement une affaire familiale.
Vingt tonnes par an — voilà notre but ultime. Nous nous sommes fixés cette limite de production pour Chocolate Naive et nous tiendrons notre promesse. Cette limite sert à nous rappeler que le projet a démarré comme une façon d’échapper au monde de l’entreprise, et si nous la dépassons nous risquons de nous retrouver à nouveau dans un bureau (hors de question !).
Voilà notre vision : développer notre ferme et en acquérir une dans un pays producteur de cacao pour atteindre une intégration verticale complète de la fabrication ; fabriquer le chocolat le plus sophistiqué et rendre à la Nourriture des Dieux sa couronne ; répandre la joie, la tranquillité d’esprit, et sensibiliser les gens à l’importance de trouver son Chocolat de vie.
Pouvez-vous décrire le processus de fabrication que vous avez adopté, votre équipement et votre équipe, les ingrédients que vous utilisez et comment vous les choisissez ?
Je n’aurais jamais imaginé qu’il faille autant d’efforts et de savoir-faire pour créer un chocolat de qualité. Deux choses sont importantes : la qualité des ingrédients et la mise en oeuvre. Les ingrédients utilisés par Chocolate Naive sont tous porteurs d’une histoire. Le commerce direct nous permet de connaître les cultivateurs personnellement ; c’est très important.
Notre cultivateur de vanille au Costa Rica ou notre cultivateur de cacao en Ouganda — je connais leur nom et je connais les principes selon lesquels ils travaillent. Je peux partager ces informations importantes avec la personne qui mange notre chocolat et instaurer une transparence autour du produit. Je dis toujours que le cinquième ingrédient de nos chocolats est l’air pur dans lequel nous travaillons. L’air est certifié bio bien sûr !
Nous utilisons une technologie de torréfaction à lit fluidisé personnalisée pour nos besoins. L’écorce des fèves est retirée avec une vanneuse que nous avons nous-mêmes conçue. Nous sommes en train de créer un mixeur à double conchage longitudinal et ce sera encore une autre machine créée de toute pièce avec l’aide de nos brillants ingénieurs. Pour le moment, nous utilisons des meules motorisées en granit pour moudre le cacao avec le sucre. Il faut comprendre les notions d’Amps et de puissance en chevaux, et fabriquer du chocolat est un procédé masculin d’une façon générale — les cicatrices que j’ai sur les mains en sont la preuve !
Quel a été jusqu’ici votre plus grand défi ? De quoi êtes-vous le plus fier ?
Le plus grand défi pour l’instant, c’est de trouver une femme compréhensive qui pourra se faire à mon métier compliqué ! Nous apprécions la difficulté, nous ne prenons aucun raccourci et nous adorons le stress positif. Fabriquer du grand chocolat dans un pays qui a peu de traditions dans ce domaine et trouver notre place sous le soleil de l’industrie chocolatière mondiale — voilà le challenge.
Je me souviens d’une fois où nous participions au salon du chocolat de Tubingen en Allemagne, et une vieille dame s’est approchée. Elle était française et j’étais plein de complexes à l’idée de faire goûter mon chocolat à des Français ou des Italiens — leur palais est tellement orienté vers le chocolat noir ! Mais elle a sincèrement aimé et nous avons eu une longue et chaleureuse conversation de plus d’une heure à parler de textures, de variétés, de la Lituanie, de la campagne… Et c’est là que je me suis dit, ça y est, on est enfin dans la course.
Je suis intriguée par l’emballage de vos tablettes [voir photo ci-dessous], qui est à la fois simple et poétique. Qui les a conçus et qui écrit les textes ?
Chaque tablette de chez Chocolate Naive porte son histoire. La fois où j’ai essayé de traire une vache nommée Marigold, voyagé au Nicaragua, ou médité sur une passerelle en bois pourri en réfléchissant à de nouvelles recettes. Effectivement, nous aimons la simplicité et le minimalisme. Toutes nos étiquettes et notre marque en général sont nées de la belle amitié que j’entretiens avec Karolis Kosas, l’artiste et la personne la plus incroyable du monde. Et c’est moi qui écris les textes. Les chocolats sont très autobiographiques. Ils portent même ma signature ! [Note de Clotilde : Il paraphe à la main chaque tablette.]
Vous m’avez dit qu’en plus de la fabrication du chocolat, vous élevez aussi des lapins et des chèvres, vous faites des glaces, vous cultivez des herbes et des baies, etc. Pouvez-vous nous parler de ces autres activités, et de comment elles s’articulent dans votre approche globale ?
Pour dire la vérité, tout vient toujours de notre amour pour la nourriture et les gens. Nous sommes des admirateurs du mouvement Slow Food et nous pensons qu’il faut connaître ses fournisseurs personnellement et soutenir les petits exploitants dans leur difficile vie quotidienne.
D’un côté, nous soutenons notre communauté locale et nous redistribuons nos profits auprès d’eux en achetant leurs produits et en les aidant à atteindre les estomacs des grandes villes. De l’autre, nous aimons le jardinage et les animaux ! Nous faisons pousser des herbes et nous avons quinze chèvres, nous fabriquons du fromage de chèvre, nous récoltons la sève des bouleaux, et plus encore. Et quand les gens de Paris ou de Londres viennent nous rendre visite dans notre petite dacha, ils découvrent ce zoo bizarre. C’est ainsi que le local devient global, vous voyez.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter ?
D’abord, merci de m’avoir donné l’opportunité de répondre à ces questions — c’est un vrai plaisir. J’aimerais encourager chacun de vos lecteurs à suivre son rêve et à essayer de changer le monde. C’est peut-être un cliché mais nous devrions tous nous donner pour mission de laisser une petite trace dans cet immense univers. Quittez les emplois, les relations, les habitudes que vous n’aimez pas — allez cherchez votre Chocolat personnel. Tout est fragile et nous avons peu de temps sur Terre, mais ce qui est sûr, c’est que vous pouvez commencez aujourd’hui.
Mes salutations les plus chaleureuses depuis ma campagne ensoleillée !
Le site de Chocolate Naive.
Une autre interview de Domantas (en anglais) sur Lietuva.lt.