Quand Maxence et moi étions en vacances à San Francisco à la fin de l’été, nous mangions un bagel tous les matins. Il y avait deux vendeurs de bagels non loin de l’appartement que nous occupions, donc nous alternions entre les deux, et quand nous allions courir au Golden Gate Park, des bagels nous attendaient au coffee shop qui regarde l’océan, tout au bout du parc.
J’ai une préférence pour les bagels recouverts de graines de pavot ou de sésame, et je les aime particulièrement tartinés de cream cheese (un fromage à tartiner lisse et doux) et surmontés d’une tranche de tomate bien mûre. Suite à la suggestion éclairée d’une lectrice de ce blog, j’ai aussi essayé la version tartinée de beurre de cacahuète et surmontée d’une tranche de tomate bien mûre, et malgré mon scepticisme initial, je dois bien le reconnaître : l’essayer c’est l’adopter.
Le dernier jour, inconsolable à l’idée que nos vacances étaient terminées et qu’il allait falloir laisser la Californie derrière nous, j’ai trouvé un moyen de me mettre du baume au coeur : une fois rentrée, j’allais nous faire des bagels maison.
Si vous ne vous êtes jamais posé la question, sachez que le bagel est cuit en deux fois : la pâte est d’abord pochée à l’eau, puis cuite au four.
C’est vrai qu’on en trouve à Paris, de plus en plus d’ailleurs (il s’en vend même dans cette célèbre chaîne de magasins de surgelés, avec tout un assortiment d’additifs en bonus), mais j’en ai goûté un certain nombre et ce n’est jamais vraiment ça.
Je me suis donc tournée vers Peter Reinhart* et son livre The Bread Baker’s Apprentice, je me suis plongée dans la lecture de tous (absolument tous) les billets rédigés par les participants au Bread Baker’s Apprentice challenge qui ont suivi la recette, et à la faveur d’un après-midi lors duquel il m’a soudain paru physiquement impossible de rester à mon bureau une minute de plus, je me suis réfugiée dans la cuisine et mise au travail. (Vous n’imaginez pas le nombre de projets culinaires qui commencent comme ça chez moi.)
Si vous ne vous êtes jamais posé la question, sachez que le bagel est cuit en deux fois : la pâte est d’abord pochée à l’eau, puis cuite au four. On fait pareil pour les bretzels, et c’est ce qui donne à la surface cet aspect lisse et brillant. Sans que je sache vraiment pourquoi, l’étape du pochage m’avait toujours semblé insurmontable : et si, une fois dans l’eau, mes bagels se délitaient ? Et s’ils fondaient ? Et s’ils tombaient au fond et qu’on ne les revoyait plus jamais ? Faudrait-il qu’une équipe de plongeurs parte en mission de sauvetage des bagels engloutis ? Reinhart n’avait pas l’air plus inquiet que ça, donc bon, je me suis lancée.
J’ai obtenu exactement les bagels que j’espérais : bien goûteux, avec la bonne texture un peu dense, ils sont divins avec le beurre de cacahuète rapporté du même voyage.
Avant ça, il avait quand même fallu que je mette la main sur deux ingrédients un peu particuliers. D’abord, les bagels sont faits avec une farine au fort taux de gluten ; c’est d’ailleurs ce qui empêche le désastre au moment du pochage. Aux Etats-Unis, on prendrait de la bread flour ou, mieux encore, de la high-gluten flour, mais la farine française a une teneur en gluten significativement plus basse — on ne cultive pas la même variété de blé ici et là-bas — et Jane m’avait déconseillé de l’utiliser telle quelle. Ma mission était donc de trouver du gluten de blé en poudre, pour doper un peu ma farine.
Par ailleurs, le goût caractéristique du bagel vient de ce que la pâte est légèrement sucrée au sirop d’orge malté, un produit sucrant de couleur ambrée qu’on appelle aussi sirop d’orge ou malt d’orge. J’ai fait la tournée des magasins bio de mon quartier, et j’ai fini par trouver les deux, au même endroit** ; il a fallu que je me retienne pour ne pas embrasser la vendeuse.
J’ai ensuite suivi la recette de Peter Reinhart, à quelques exceptions près : je l’ai modifiée pour utiliser mon levain naturel, en visant un ratio final de 1-3 (une part de levain pour trois parts de farine ; mais regardez au bas de la recette, j’ai aussi indiqué les quantités pour faire sans levain), et j’ai réduit les proportions de moitié, de façon à obtenir huit bagels moyens au lieu de douze gros.
J’ai aussi pris quelques libertés avec la méthode : dans la recette, il faut commencer par faire la pâte, façonner les bagels, les disposer sur des plaques à pâtisserie, et les mettre toute une nuit au réfrigérateur avant de les pocher et les cuire le lendemain. Seulement moi, j’ai un frigo de taille modeste et plein à craquer, alors l’idée d’en libérer deux étagères (sur quatre en tout) pour y mettre des bagels relève de la science fiction.
Donc, au lieu de former les bagels avant de les mettre au frais pour la nuit, j’y ai simplement mis le bol de pâte (c’était déjà un challenge de trouver de la place pour ça) que j’ai divisée et façonnée le lendemain. Je n’ai pas été frappée par la colère des dieux du bagel pendant la nuit, donc j’en conclus que ce n’était pas un sacrilège trop irrémissible.
Au total, je me suis vraiment bien amusée à faire mes bagels : la pâte est assez ferme et très facile à travailler (quoiqu’elle demande paraît-il une certaine d’endurance si on la pétrit à la main), et l’étape tant redoutée du pochage s’est déroulée sans difficulté aucune.
Mais surtout, j’ai obtenu exactement les bagels que j’espérais : bien goûteux, avec la bonne texture, un peu dense et juste chewy comme il faut (pardonnez-moi cet emprunt linguistique, mais chewy, c’est chewy, il n’y a pas d’équivalent en français), ils sont divins avec le beurre de cacahuète rapporté du même voyage. Si seulement mon supermarché voulait bien vendre du cream cheese, mon bonheur serait complet.
* Si vous comprenez l’anglais, je vous recommande cette vidéo d’une conférence donnée par Peter Reinhart.
** J’ai trouvé mon sirop d’orge et mon gluten de blé chez Biocoop, au 73 rue du Faubourg Poissonnière dans le 9ème (voir plan), 01 44 79 06 44, lun-sam 9h30-20h.
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Ingrédients
- 185 g de farine à fort taux de gluten, ou bien 180 g de farine T65 plus 5 g de gluten de blé (en magasin bio)
- 1/4 c.c. de levure de boulanger déshydratée (en granules)
- 215 g d'eau
- 140 g de levain naturel à 100% (plus de détails ici)
- 1/4 c.c. de levure de boulanger déshydratée (en granules)
- 235 g de farine à fort taux de gluten, ou bien 230 g de farine T65 plus 5 g de gluten de blé (en magasin bio)
- 6 g de sel
- 1.5 c.c. de sirop d'orge malté (en magasin bio)
- 1 c.s. de bicarbonate de sodium (en pharmacie)
- un assortiment de graines : sésame, pavot, etc.
Instructions
- Le premier jour, préparez la pâte fermentée : mélangez tous les ingrédients de la pâte fermentée dans un saladier ou dans le bol du robot-pétrin. Mélangez jusqu'à obtenir une consistance de pâte à crêpe épaisse, couvrez, et laissez reposer 2 heures. Des bulles apparaîtront à la surface.
- Préparez la pâte : ajoutez les ingrédients de la pâte (de la levure au sirop d'orge) à la pâte fermentée, mélangez bien, puis pétrissez au robot pétrin pendant 8 minutes, ou à la main une bonne dizaine de minutes. La totalité de la farine devrait être absorbée dans les 2 premières minutes ; si ce n'est pas le cas, ajoutez quelques gouttes d'eau. Pétrissez jusqu'à ce que la pâte soit lisse et souple. C'est une pâte qui reste assez ferme, mais elle doit être agréable au toucher, et non pas sèche.
- Couvrez d'un torchon et laissez reposer à température ambiant pendant 1h, puis couvrez de film plastique et mettez la pâte au frais jusqu'au lendemain. (Elle peut y rester jusqu'à 2 jours.)
- Le lendemain, retirez la pâte du réfrigérateur et laissez-la revenir à température ambiente pendant 1 heure. Préparez deux plaques à pâtisserie que vous chemiserez de papier sulfurisé légèrement graissé, ou sur lesquelles vous placerez des tapis de cuisson en silicone.
- Retournez la pâte sur votre plan de travail et divisez-la en 8 morceaux égaux, environ 100 g chacun. Façonnez des boules comme le fait le boulanger dans cette video.
- Percez chaque boule en son centre avec le pouce, puis servez-vous de vos deux mains pour élargir le trou. A ce stade, il faut que le trou soit plus large que ce qu'on veut obtenir au final, parce que l'élasticité de la pâte va le conduire à se refermer ensuite. Disposez les bagels au fur et à mesure sur les plaques. Couvrez avec un torchon et laissez reposer 15 minutes.
- Préchauffez le four à 260°C avec deux grilles au centre du four, et amenez à ébullition une large casserole ou une cocotte d'eau (avec environ 15 cm de profondeur d'eau). Préparez une ou plusieurs assiettes à soupe et versez-y les graines dont vous voulez recouvrir les bagels (par exemple, une assiette à soupe de pavot, l'autre de sésame).
- Assurez-vous que la pâte est prête à cuire avec le test de flottaison : déposez l'un des bagels dans un bol d'eau à température ambiante. Il devrait remonter à la surface dans les 10 secondes (le mien est remonté instantanément). Si ce n'est pas le cas, remettez-le avec les autres et attendez 5 à 10 minutes avant de retester.
- Quand la pâte est prête, ajoutez le bicarbonate dans l'eau qui bout et plongez-y autant bagels que vous pouvez faire tenir à la surface sans serrer ; dans ma cocotte, je peux en faire tenir 4 ou 5. Laissez pocher 1 minute, puis retournez-les à l'aide d'une écumoire ou d'une spatule, et faites cuire 1 minute de plus de l'autre côté (2 minutes si vous les aimez un peu plus élastiques). Vous remarquerez que les bagels ont un côté plus beau, plus bombé que l'autre ; essayez de ne pas perdre de vue lequel c'est.
- Retirez les bagels un par un avec l'écumoire et passez-les rapidement dans les graines de votre choix sur les deux faces, pour bien les recouvrir. Remettez-les au fur et à mesure sur la plaque à pâtisserie, côté bombé vers le haut. Pochez le reste des bagels.
- Une fois que tous les bagels sont pochés et recouverts de graines, insérez les plaques dans le four préchauffé. Laissez cuire 5 minutes, intervertissez les plaques (celle du bas doit se retrouver en haut et vice versa) en les faisant pivoter de 180° par la même occasion (les bagels du fond se retrouveront devant et vice versa). Baissez la température à 230°C et laissez cuire encore 5 minutes, un peu plus si vous les préférez plus bruns.
- Déposez-les sur une grille et laissez refroidir au moins 30 minutes avant de les manger. (Une fois qu'ils sont complètement refroidis, vous pouvez les congeler.)
- Note : Pour faire des bagels sans levain naturel, la pâte fermentée devra être constituée de 255 g de farine à fort taux de gluten (ou 250 g de T65 et 5 g de gluten de blé), 285 g d'eau et 1/2 c.c. de levure de boulanger déshydratée.
Notes
- La recette se déroule sur 2 jours.
- Adapté du livre The Bread Baker's Apprentice de Peter Reinhart