Gratin de blettes et béchamel végétale

Je n’achète pratiquement jamais de préparations toutes faites au supermarché : non pas par snobisme, mais parce que j’aime cuisiner, je consacre du temps à choisir mes ingrédients avec soin et je vois chaque repas comme une occasion d’expérimenter et de m’exercer, donc ça ne m’intéresse pas beaucoup de passer le volant à un fabricant de produits alimentaires industriels.

Mais mon amie Estérelle m’a dit récemment qu’elle avait souvent dans ses placards de la béchamel toute faite pour réaliser des gratins minute en cas d’urgence, et plus précisément, elle m’a parlé de la sauce Soja Gratin de la marque Bjorg, que l’on trouve en briquettes au rayon bio du supermarché.

Une fois ce premier essai réussi, je me suis intéressée à la possibilité de faire une béchamel végétale maison : puisqu’on obtient une béchamel classique avec du beurre, de la farine et du lait, pourquoi ne pas essayer avec de l’huile, de la farine, et un lait végétal ?

Je n’aurais probablement pas tenté l’expérience spontanément, mais comme Estérelle est l’une de ces cuisinières en qui j’ai une confiance aveugle, j’ai décidé de donner sa chance au produit.

J’ai eu l’occasion d’utiliser ma briquette il y a une quinzaine de jours, pour faire un gratin de blettes avec les blettes magnifiques qu’on trouve en ce moment au marché, et j’ai été très favorablement impressionnée : une fois oubliée la couleur gris ciment de la sauce lorsqu’on la verse, on obtient une béchamel bien crémeuse mais pas écoeurante, dont le parfum de muscade prononcé se marie parfaitement avec les blettes.

Mais une fois ce premier essai réussi, je me suis en fait intéressée à la possibilité de faire une béchamel végétale maison : puisqu’on obtient une béchamel classique avec du beurre, de la farine et du lait, pourquoi ne pas essayer avec de l’huile, de la farine, et un lait végétal ?

Le weekend suivant, ayant rapporté une nouvelle botte de blettes du marché, je me suis attelée à la tâche, en utilisant de l’huile de tournesol bio, de la farine de blé T65 bio, et du lait d’avoine bio, avec lequel je joue souvent ces derniers temps*. Ça a marché comme sur des roulettes et ça m’a pris douze minutes, montre en main. Je rachèterai probablement de ces briquettes de béchamel pour les cas d’urgence, ou pour quand je n’ai pas de lait sous la main, mais sinon, ce n’est guère plus compliqué de la faire soi-même (et on s’épargne ainsi l’huile de palme, l’émulsifiant et les épaississants).

Notez que je mets un oeuf dans mon gratin de blettes pour lui donner un goût un peu plus riche, mais ce n’est pas obligatoire : si vous voulez faire un gratin 100% végétal, vous pouvez l’omettre (la béchamel seule est suffisamment liante) ou mettre du tofu soyeux à la place. De la même façon, je mets du son d’avoine et du comté râpé par-dessus parce que j’aime ça, mais vous pourriez remplacer le fromage par de la levure maltée (en magasin bio) si vous préférez, ou devez, éviter les produits laitiers.

J’ai déjà détourné cette recette de gratin de blettes pour faire un excellent gratin de poireaux avec de jeunes poireaux à peine gros comme des marqueurs, et j’imagine sans peine que le gratin de chou-fleur de ma mère se prêterait tout aussi bien à l’exercice.

* J’ai notamment fait une très bonne pâte à crêpe en remplaçant l’eau et le lait de ma recette de base par du lait d’avoine.

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Les Squeeze Sablés (Jouons avec la farine torréfiée)

Parmi toutes les choses que j’ai apprises lors de cette fameuse conférence sur la gastronomie moléculaire, une idée s’est logée avec une obstination particulière dans mon lobe temporal gauche : celle de la farine torréfiée.

Elle nous a été présentée avec, en préambule, cette simple constatation : la farine crue est fade, la farine roussie, non. C’est pour ça que l’on se donne la peine de faire des roux, et c’est aussi pour ça que la croûte du pain a plus de goût que la mie. Une fois cette vérité posée, un entrechat nous mène à l’inspiration lumineuse suivante : pourquoi ne pas torréfier la farine avant de l’utiliser en pâtisserie ?

Bien sûr, le fait d’exposer la farine à la chaleur directe la cuit, ce qui change la structure de ses molécules d’amidon et de gluten. Elle ne réagit alors plus exactement comme de la farine crue et, en particulier, elle perd de son élasticité. Hervé This suggère donc d’utiliser cette farine dans des sablés, pour lesquels l’ambition est justement d’obtenir une texture friable.

J’ai trouvé sur le site de Pierre Gagnaire* une recette de sablés à la farine torréfiée tout à fait exaltante (elle utilise des jaunes d’oeuf cuits, comme dans la vraie linzertorte alsacienne), mais pour mes premiers pas au royaume de la farine torréfiée, j’avais plutôt envie de jouer avec ma recette de base de sablés — ou, plus précisément, celle de ma mère.

Par contre, je me suis servie des instructions de Gagnaire pour torréfier la farine, et au bout de trois minutes à peine, c’était déjà bigrement prometteur : il flottait dans ma cuisine une odeur très proche de celle de la boulangerie du coin de ma rue**. En revanche, une fois la farine refroidie et enrôlée dans ma pâte à sablés, je me suis vite rendu compte qu’elle n’allait pas se montrer aussi docile que d’habitude : mon mélange formait une sorte de tas de sable sucré, peu enclin à s’agglomérer.

Certes, j’aurais pu ajouter du beurre, mais une des qualités de la recette de ma mère est qu’elle en fait un usage modéré. J’ai donc continué sur ma lancée et formé des biscuits du mieux que je pouvais. La stratégie la plus facile — et la plus amusante aussi — consistait à presser*** un peu de pâte dans le creux de ma main, pour obtenir une sorte de moulage intérieur de mon poing à faire blêmir d’envie un élève de moyenne section de maternelle.

Cette forme étrange les rend attachants à mes yeux, mais si vous craignez que l’un de vos proches (je ne citerai pas de nom) leur trouve un petit air de limace ou de chenille, vous pouvez aussi former des boules un peu aplaties, ou bien tasser la pâte dans un moule carré et la découper en bâtonnets à la sortie du four, comme on le fait pour les shortbreads.

Mais passons sur la forme, c’est quand même pour le goût qu’on s’est déplacé : j’avais délibérément omis tout arôme (vanille, épices, zeste d’agrume…) pour mieux juger de l’effet de la farine torréfiée, et je dois dire que cet effet était tout à fait renversant. D’ailleurs, celui-là même qui était si prompt à dégainer les comparaisons gastéropodesques a déclaré que ces sablés étaient les meilleurs que j’aie jamais faits.

Des notes grillées de chocolat et de noisette, une consistance unique, croquante en attaque puis finement friable, et tout ça en échange de l’effort modique d’une vingtaine de minutes de torréfaction. Regardez ! Votre horizon pâtissier ne vient-il pas de s’élargir d’un coup ?

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* Hervé This et Pierre Gagnaire se livrent à un dialogue mensuel au cours duquel le chercheur décrit un phénomène que le chef illustre d’une recette.

** On dit qu’il faut faire cuire du pain juste avant de faire visiter sa maison à des acheteurs potentiels ; pour les flemmards, il suffit de faire torréfier un peu de farine.

*** En anglais, presser se dit to squeeze, d’où le nom que je leur ai donné.

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Khoresh d’agneau à l’orange

Khoresh d'agneau à l'orange

Je connais mal la cuisine iranienne. Je sais qu’elle a de nombreuses facettes et que c’est une cuisine raffinée aux racines anciennes, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’échanger avec quelqu’un qui la pratique, ni de dîner dans un restaurant iranien. C’est donc en territoire inconnu que je me suis aventurée avec ce khoresh d’agneau (plat mijoté).

Et avec quel bonheur ! J’ai rarement cuisiné, ni même goûté, un ragoût d’agneau aussi parfumé et aussi subtil.

Petits Larcins culinairesLa recette vient de ce petit livre que j’ai acheté récemment : Petits Larcins culinaires, écrit par Claude Deloffre, collectionneuse de livres de cuisine devant l’éternel, et qui a pendant un temps tenu à Paris une jolie galerie-librairie consacrée au sujet*. Dans ce livre, son premier, Claude parle de sa passion, évoque les livres qui l’ont le plus marquée, et donne quelques recettes « volées » — d’où le titre — à ses auteurs préférés.

Un plat d’agneau qui cuit doucement avec des carottes et des oignons dans du jus d’orange, servi avec des écorces d’orange caramélisées, de la menthe fraîche et des pistaches.

Comme toute anthologie réussie, celle-ci donne envie de se procurer immédiatement la totalité des titres mentionnés — si c’était un site, il faudrait un bouton « Tout commander ». Et parmi les recettes incluses, c’est le khoresh d’agneau de la page 63 qui m’a interpelée avec le plus de force : un plat d’agneau cuit doucement avec des carottes et des oignons dans du jus d’orange, et servi avec des écorces d’orange caramélisées, de la menthe fraîche et des pistaches.

Nous allions avoir Pascale et son mari David à dîner quelques jours plus tard, et mon petit doigt me disait qu’on mangerait iranien.

J’ai légèrement modifié les ingrédients (j’ai mis un peu moins de sucre et de beurre, mais plus de légumes et de viande — 700g d’agneau pour six, ça me paraîssait un peu court –, et j’ai ajouté du safran) mais j’ai globalement suivi le déroulé, et j’ai trouvé la recette à la fois facile et agréable à mettre en oeuvre.

On est à la toute fin de la saison des oranges alors que les carottes nouvelles font leur apparition, donc c’est le moment idéal pour faire ce khoresh d’agneau. Et si jamais vous êtes tenté de zapper la préparation des écorces d’orange parce que, quand même, il ne faut pas exagérer, permettez-moi de préciser que ce serait vraiment dommage : ces allumettes croustillantes, à la confluence du sucré, du salé et de l’amer, font briller le plat tout entier.

* A ma grande tristesse, Claude Deloffre a fermé FOOD, mais les amateurs de livres de cuisine à Paris peuvent maintenant s’en remettre à l’excellente Librairie Gourmande.

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Hot Cross Buns au chocolat blanc, dattes et pistaches

Des hot cross buns, ces petits pains briochés aux épices, j’en ai mangé à longueur d’année — on les achetait au regretté Marks & Spencer du boulevard Haussmann — avant de découvrir un beau matin qu’en fait, c’est une recette traditionnelle de Pâques que les anglais préparent et dégustent le Vendredi saint*.

J’en ai fait quelques fois depuis cette révélation, mais cette année, au lieu d’utiliser la même recette, j’ai décidé de m’inspirer plutôt de celle de Dan Lepard, un expert de la boulangerie et de la pâtisserie qui vit en Angleterre.

J’ai suivi sa méthode dans les grandes lignes — en particulier pour le repos de la pâte au frais toute une nuit — en la convertissant pour utiliser mon levain, mais j’ai indiqué ci-dessous les mesures pour faire avec et sans levain.

Le hot cross bun classique est garni de raisins secs et parfois d’écorces d’agrumes confits, mais cette année mon envie était tout autre : je voulais les faire au chocolat blanc, avec des dates et des pistaches.

Et comme j’ai pour mission de vider le frigo avant notre départ pour le Japon en fin de semaine, j’ai modifié la recette pour y mettre le demi-pot de crème fraîche qui s’y languissait, puisqu’on en met volontiers dans la brioche dans certaines régions de France. Elle a servi ici à remplacer le beurre et une partie du lait, ce qui donne à la mie une sorte de légèreté acidulée que j’aime beaucoup. J’ai aussi diminué la quantité de sucre dans la pâte, pour prendre en compte ma garniture résolument non-traditionnelle.

En effet, le hot cross bun classique est garni de raisins secs et parfois d’écorces d’agrumes confits, mais cette année mon envie était tout autre : je voulais faire des hot cross buns au chocolat blanc, avec des dates et des pistaches.

L’idée du mariage chocolat blanc et pistache venait des petites brioches qui sont vendues chez Eric Kayser, et j’ai décidé d’ajouter de la pâte de datte parce que j’en avais dans mes placards et que je savais que le trio serait harmonieux.

Pour être honnête, je n’aime pas beaucoup le chocolat blanc. Il manque trop de relief sur le plan gustatif pour que j’aie plaisir à le croquer juste comme ça, mais je suis ouverte à la possibilité de m’en servir comme ingrédient pour faire autre chose, surtout si ça fait plaisir à la personne qui vit sous le même toit que moi et qui adore ça.

Tant d’abnégation ne pouvait que payer ; c’était très réussi. Je m’attendais à ce que les petits morceaux de chocolat blanc restent perceptibles après la cuisson, comme ce serait le cas avec du chocolat noir, mais ce qui s’est passé est bien mieux : le chocolat blanc s’est complètement dissout dans la pâte en caramélisant légèrement sur les bords, de telle sorte qu’on tombe régulièrement sur des zones un peu confites — un délice.

Pour dessiner la croix qui donne au hot cross bun son nom (littéralement : petit pain chaud avec une croix), certains choisissent d’utiliser un glaçage épais ou de la pâte d’amande, mais à mon sens le hot cross bun doit absolument pouvoir être toasté, donc il faut que la croix résiste à la chaleur (la pâte d’amande qui brûle au fond du grille-pain, c’est moyennement sympa).

La solution, c’est de préparer un simple mélange de farine et d’eau suffisamment crémeux pour que l’on puisse le déposer en croix sur les pâtons au cornet, une sorte de mini poche à douille que l’on fabriquer soi-même avec du papier sulfurisé — c’est d’ailleurs un outil bien utile pour toutes sortes de décorations en pâtisserie et en boulangerie.

A la sortie du four, j’ai badigeonné mes hot cross buns d’un simple sirop de sucre, comme le préconise Dan, et ça fait toute la différence, tant en terme d’apparence que de texture : on obtient des buns bien brillants, dont le dessus est à la fois ferme et fondant.

En principe, pour manger les hot cross buns, on les coupe en deux horizontalement, on les fait griller, et on les tartine de beurre et/ou de confiture. Avec cette version, je trouve que la confiture est de trop, et à vrai dire, je me passe même de beurre. Mais vous ferez comme il vous plaira, ce sont vos buns après tout.

Si les hot cross buns se dégustent traditionnellement à Pâques, le décret tudorien de 1592 qui en interdisait la vente en dehors du Vendredi saint, de Noël et des jours d’enterrement a été abrogé il y a bien longtemps, donc rien ne vous empêche d’utiliser la recette à d’autres moments de l’année, en remplaçant peut-être le symbole de la croix par une décoration plus adaptée à l’occasion.

* Si vous lisez l’anglais, vous pourrez en apprendrez plus sur l’histoire de cette tradition sur l’excellent site d’histoire culinaire Food Timeline.

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Comment déguster le chocolat

La semaine dernière, je me suis rendue à Tain-l’Hermitage, une petite ville non loin de Valence, au beau milieu des vignes (Hermitage et Crozes-Hermitage) et des vergers (pêches, cerises, abricots). Mais moi, j’étais là pour le chocolat : c’est en effet à Tain que se trouve le siège de Valrhona, dont on m’avait proposé de visiter le site de production.

Nous avons revêtu l’uniforme glamour du visiteur d’usine (blouse en intissé, charlotte en papier, surchaussures plastifiées) et passé une bonne partie de la journée de salle en salle, à admirer les énormes machines, les gros sacs de fèves de cacao et les rivières de chocolat, dans les vapeurs puissantes que dégage le cacao lorsqu’il est soumis à la série de supplices (lavage, dépierrage, torréfaction, concassage, broyage, conchage, moulage, refroidissement, emballage) qui le feront passer de l’état de fève amère au voluptueux antidépresseur que nous connaissons bien.

Et la seule chose que j’aime plus que le chocolat, c’est être invitée en coulisses pour comprendre comment les trucs marchent, donc j’étais sur un petit nuage cacaoté — le seul bémol étant le réveil à 4h45 pour prendre le train, mais il faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

La plupart des composés aromatiques du chocolat sont « emprisonnés » dans le beurre de cacao, et ce n’est que lorsque le chocolat fond qu’ils sont libérés. Et comme la nature est bien faite, l’intérieur de la bouche est juste à la bonne température pour que cela s’y produise.

Pour clore cette journée bien remplie, on a eu droit à une petite séance de dégustation avec Vanessa Lemoine, l’experte maison en analyse sensorielle, une discipline qui consiste à utiliser les cinq sens pour décrire, analyser et positionner les produits.

Son rôle chez Valrhona est entre autres de former les dégustateurs de chocolat qui évaluent les échantillons (10 kilos) qui sont envoyés avant l’achat de tout lot de cacao. En effet, les fèves de chaque origine doivent se conformer à un profil gustatif précis établi en fonction du terroir, de la variété de cacao, et des méthodes de production sur lesquelles Valrhona et le planteur se sont mis d’accord. Si l’échantillon est significativement différent de ce profil étalon, Valrhona n’achète pas le lot. Ceci leur permet de s’assurer que la qualité et la personnalité de chaque chocolat ne varient pas, et ainsi garantir cette même constance à leurs clients chocolatiers et pâtissiers qui ont créé leurs recettes autour de tel ou tel chocolat.

La difficulté, c’est qu’on ne peut pas juger du potentiel d’une récolte sur la base de la simple fève : à ce stade, le cacao ne présente que des précurseurs d’arôme, qui seront révélés à la mise en oeuvre seulement. Il faut donc faire passer les échantillons par une mini chaîne de production, pour obtenir un chocolat qui sera ensuite dégusté par le jury d’experts et noté selon une trentaine de descripteurs.

Il faut de nombreuses sessions de formation pour développer la finesse de palais nécessaire à cette tâche-là, mais Vanessa Lemoine nous a fait une petite initiation à la dégustation du chocolat, et j’ai trouvé ça tellement intéressant que j’ai pensé que vous partageriez sans doute mon enthousiasme. La méthode se rapproche par certains points de la dégustation du vin, donc si vous êtes un peu œnophile à vos heures, vous avez déjà pas mal de cartes en main.

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