Ce qu’on apprend lors d’une conférence sur la gastronomie moléculaire

Hervé This

J’ai assisté en début de semaine à une conférence de deux jours sur la gastronomie moléculaire et les relations entre la technique, la technologie et la science.

Cette session gratuite et publique, organisée par l’INRA et l’école AgroParisTech, était animée par Hervé This lui-même, co-créateur de cette discipline qui consiste à étudier les phénomènes physico-chimiques qui gouvernent la cuisine. 2008 marque d’ailleurs le 20ème anniversaire de la gastronomie moléculaire et des manifestations seront organisées à Paris aux alentours du 20 mars, m’a-t-on dit.

J’ai perdu l’habitude de rester assise pendant des heures dans un amphi et mon genou droit n’a pas manqué de me faire la remarque, mais je dois dire qu’un professeur comme Hervé This donne envie de se racheter des cahiers à carreaux séyès : sa passion, son enthousiasme, son talent de vulgarisation et son petit côté Dupontel en ravissent plus d’un.

Notez qu’Hervé This anime aussi des séminaires mensuels gratuits, ouverts au public sur inscription, lors desquels il aborde ces questions qui nous empêchent tous de dormir, telles que : si la soupe est trop salée, doit-on rajouter une pomme de terre, un bouchon de liège, ou rien du tout ? Est-il utile de battre la viande pour l’attendrir ? Existe-t-il une différence gustative perceptible entre les frites coupées au couteau et les frites coupées à la machine ? (Les comptes-rendus sont ensuite mis en ligne sur le site de la Société Française de Chimie.)

J’ai beaucoup appris pendant ces deux jours, et le contenu du cours sera bientôt publié aux éditions de l’INRA, mais en attendant, voici quelques morceaux choisis tirés de mes notes.

– Hervé This est très précis dans les termes qu’il utilise, et il a souligné la distinction fondamentale qu’il fait entre la gastronomie moléculaire, qui consiste comme dit plus haut en l’étude scientifique des phénomènes physico-chimiques qui interviennent dans la préparation de plats cuisinés, et la cuisine moléculaire, qui correspond à l’application que font les cuisiniers des conclusions de cette étude. En bref, Hervé This fait de la gastronomie moléculaire ; Ferran Adrià fait de la cuisine moléculaire.

– Parce qu’il estime que les dictons culinaires de la langue française constituent d’excellents points de départ pour ses recherches, il travaille à les rassembler dans une base de recensement. Une première fournée est déjà disponible.

– Les mots d’une recette de cuisine écrite peuvent être répartis en trois catégories : les définitions (c’est-à-dire les éléments — ingrédients ou méthodes — qui définissent l’essence du plat), les précisions (toutes les précautions et indications qui ne sont pas indispensables mais diminuent le risque de rater la recette) et enfin tout ce qui est inutile techniquement (aussi appelé « le blabla »).

– Selon l’hypothèse du ratage, plus une recette est susceptible de rater, plus les précisions foisonnent (par exemple, il est facile de rater une mayonnaise, donc les recettes regorgent de précisions sur la température des ingrédients, le sens dans lequel il faut fouetter, etc.). L’exception à cette règle réside dans les recettes dites « importantes », c’est-à-dire les recettes fondatrices de la cuisine, qui peuvent être relativement inratables mais pour lesquelles les précisions abondent néanmoins (par exemple, le bouillon).

– Lavoisier a montré que lorsqu’on réalise un bouillon, on extrait plus de matière à grande eau, c’est-à-dire en mettant beaucoup d’eau dans la casserole.

– Le saccharose, quand il cuit longtemps, se décompose en glucose et en fructose.

– Quelques livres anciens cités par Hervé This comme étant les plus importants de l’histoire de la cuisine française : Le Viandier de Taillevent (~1380), Le Mesnagier de Paris (1393), L’Art de Bien Traiter de L.S.R. (1674), Le Cuisinier Moderne de la Chapelle (1735), La Cuisinière bourgeoise de Menon (1771), L’Art de la cuisine française au XIXè siècle de Carême (1833), Le Guide de la Bonne Cuisinière de Durandeau (1887).

– Il accorde peu de crédit à Brillat-Savarin et sa Physiologie du goût, qui est selon lui un assemblage d’idées fausses ou inexactes. Sans animosité, il explique que l’ouvrage relève de la littérature, pas de la science.

– A l’origine, le terme soupe désignait la tranche de pain que l’on mettait au fond de l’assiette et sur laquelle on versait le bouillon. (D’où l’expression « être trempé comme une soupe », qui m’avait toujours intriguée.)

Moyeu et aubin sont les termes anciens qui désignaient respectivement le jaune (par analogie avec le moyeu, centre de la roue) et le blanc (du latin albus, blanc) de l’oeuf.

– Le terme culinaire vanner correspond au geste de remuer une sauce (à la cuillère en bois, en général) pour lui permettre de refroidir sans qu’une peau se forme à la surface. Ce geste a pour effet de maintenir la phase grasse de la sauce (beurre fondu, huile…) sous forme de grosses bulles en suspension dans la phase aqueuse (par exemple le vin dans une sauce au vin), là où le geste de fouetter divise le gras en très petites bulles.

Ceci a une conséquence en terme de perception du goût : dans une sauce vannée, on perçoit surtout le goût de l’élément aqueux. Si l’on réalise la même sauce mais qu’on la fouette, on percevra surtout le goût de l’élément gras.

– Le blanc d’oeuf coagule à 65°C. Si l’on fait cuire un oeuf entier dans un four à 65°C, le blanc met 30 minutes à atteindre cette température, et donc coaguler. (J’ai bien l’intention de tester la méthode pour faire des oeufs mollet.)

– La coquille de l’oeuf est perméable au sel : si l’on fait cuire un oeuf dans de l’eau salée, le blanc de l’oeuf sera lui aussi salé.

– La matière grasse du beurre gèle à -10°C et fond à 50°C.

– Les dents sont des capteurs de pression extrêmement sensibles. Lorsque l’on mange, c’est la surface des aliments que l’on sent : une mousse entre deux fines plaques de chocolat procure une sensation très différente de celle que procurent les mêmes plaques de chocolat glissées au centre de la même mousse.

– Lorsque l’on prend une bouchée, on perçoit les molécules odorantes de la partie supérieure de la bouchée (du côté du palais, par rétro-olfaction), et les molécules sapides de la partie inférieure de la bouchée (celle qui repose sur la langue). A garder à l’esprit quand on crée un plat ou un dessert en deux couches…

– Dans le jambon jabugo, l’odeur se trouve dans le gras (partie blanche), le goût dans le maigre (partie rouge).

– Lorsqu’il met au point de nouvelles préparations, Hervé This leur donne des noms de chimistes (Obernai, Peligot, Geoffroy, Liebig, Wurtz…) qui ont effectué des recherches dans des domaines voisins et à qui il rend ainsi hommage.

– La citation du jour : « Les idées fausses ne meurent pas ; il n’y a que ceux qui les soutiennent qui finissent par crever. » (Hervé This.)

– Lorsque l’on congèle un liquide en faisant baisser sa température lentement, les cristaux se forment progressivement et en se liant aux cristaux déjà formés. A l’inverse, si l’on refroidit ce même liquide très rapidement, tous les cristaux se forment au même moment et sans pouvoir se lier les uns aux autres. C’est pour cela que la texture d’un sorbet est d’autant plus fondante (c’est-à-dire que les cristaux sont très petits) qu’on a refroidit l’appareil rapidement. (D’où l’intérêt de l’azote liquide, qui permet un refroidissement extrêmement rapide.)

– La technique de l’intrasauce consiste à injecter une sauce à l’intérieur d’un aliment à l’aide d’une seringue (par exemple, une sauce au Grand-Marnier injectée dans la chair d’un canard). Il faut injecter la sauce progressivement et avec des temps de repos pour permettre une bonne absorption.

– Les mousses, en tant qu’assemblage d’une multitude de bulles d’air, sont des isolants parfaits. C’est grâce à cette propriété que l’on peut, pour réaliser une omelette norvégienne (monument de kitsch culinaire s’il en est), chauffer au chalumeau la meringue, qui est une mousse, sans élever la température de la glace qui se trouve à l’intérieur.

– En Amérique Centrale, on emballe la viande dans des feuilles de papayer pour l’attendrir. Ce phénomène s’explique par l’action de la papaïne, une enzyme présente dans les feuilles et les fruits du papayer et qui a des propriétés protéolytiques, c’est-à-dire qu’elle détruit une partie des protéines de la viande. La broméline et la ficine, présentes respectivement dans l’ananas et la figue, ont des propriétés similaires.

– Les tanins sont des composés phénoliques astringents, c’est-à-dire qu’il se lient aux protéines salivaires, qui précipitent. (Prenez une gorgée de vin tannique, recrachez — sauf si vous êtes au restaurant — et constatez l’apparence modifiée de la salive.)

– Si l’on plonge des cristaux de sel dans de l’huile, et qu’on les pose ensuite sur une surface humide, les cristaux ne fondent pas. (A tester pour déposer de la fleur de sel sur une viande ou des légumes.)

– Quand on fouette un liquide qui contient des protéines, une mousse se forme. (C’est pour ça que le blanc d’oeuf mousse quand on le fouette, mais pas l’eau.) La gélatine étant un produit protéiné particulier, si l’on fouette un jus de fruit additionné de gélatine, on obtient une mousse qui se tient. (Hervé This affectionne particulièrement le jus de cassis et le jus de mangue.)

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Pour en savoir plus, je vous recommande la lecture de cette série d’essais Carte Blanche à Hervé This. Vous pouvez également vous procurer l’un des nombreux livres qu’il a écrits, et en particulier le très bel Alchimistes aux fourneaux qu’il vient de publier avec son comparse Pierre Gagnaire, dans lequel ils revisitent Les Délices de la campagne, un traité de gastronomie qui date de 1655.

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