Parmi toutes les choses que j’ai apprises lors de cette fameuse conférence sur la gastronomie moléculaire, une idée s’est logée avec une obstination particulière dans mon lobe temporal gauche : celle de la farine torréfiée.
Elle nous a été présentée avec, en préambule, cette simple constatation : la farine crue est fade, la farine roussie, non. C’est pour ça que l’on se donne la peine de faire des roux, et c’est aussi pour ça que la croûte du pain a plus de goût que la mie. Une fois cette vérité posée, un entrechat nous mène à l’inspiration lumineuse suivante : pourquoi ne pas torréfier la farine avant de l’utiliser en pâtisserie ?
Bien sûr, le fait d’exposer la farine à la chaleur directe la cuit, ce qui change la structure de ses molécules d’amidon et de gluten. Elle ne réagit alors plus exactement comme de la farine crue et, en particulier, elle perd de son élasticité. Hervé This suggère donc d’utiliser cette farine dans des sablés, pour lesquels l’ambition est justement d’obtenir une texture friable.
J’ai trouvé sur le site de Pierre Gagnaire* une recette de sablés à la farine torréfiée tout à fait exaltante (elle utilise des jaunes d’oeuf cuits, comme dans la vraie linzertorte alsacienne), mais pour mes premiers pas au royaume de la farine torréfiée, j’avais plutôt envie de jouer avec ma recette de base de sablés — ou, plus précisément, celle de ma mère.
Par contre, je me suis servie des instructions de Gagnaire pour torréfier la farine, et au bout de trois minutes à peine, c’était déjà bigrement prometteur : il flottait dans ma cuisine une odeur très proche de celle de la boulangerie du coin de ma rue**. En revanche, une fois la farine refroidie et enrôlée dans ma pâte à sablés, je me suis vite rendu compte qu’elle n’allait pas se montrer aussi docile que d’habitude : mon mélange formait une sorte de tas de sable sucré, peu enclin à s’agglomérer.
Certes, j’aurais pu ajouter du beurre, mais une des qualités de la recette de ma mère est qu’elle en fait un usage modéré. J’ai donc continué sur ma lancée et formé des biscuits du mieux que je pouvais. La stratégie la plus facile — et la plus amusante aussi — consistait à presser*** un peu de pâte dans le creux de ma main, pour obtenir une sorte de moulage intérieur de mon poing à faire blêmir d’envie un élève de moyenne section de maternelle.
Cette forme étrange les rend attachants à mes yeux, mais si vous craignez que l’un de vos proches (je ne citerai pas de nom) leur trouve un petit air de limace ou de chenille, vous pouvez aussi former des boules un peu aplaties, ou bien tasser la pâte dans un moule carré et la découper en bâtonnets à la sortie du four, comme on le fait pour les shortbreads.
Mais passons sur la forme, c’est quand même pour le goût qu’on s’est déplacé : j’avais délibérément omis tout arôme (vanille, épices, zeste d’agrume…) pour mieux juger de l’effet de la farine torréfiée, et je dois dire que cet effet était tout à fait renversant. D’ailleurs, celui-là même qui était si prompt à dégainer les comparaisons gastéropodesques a déclaré que ces sablés étaient les meilleurs que j’aie jamais faits.
Des notes grillées de chocolat et de noisette, une consistance unique, croquante en attaque puis finement friable, et tout ça en échange de l’effort modique d’une vingtaine de minutes de torréfaction. Regardez ! Votre horizon pâtissier ne vient-il pas de s’élargir d’un coup ?
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* Hervé This et Pierre Gagnaire se livrent à un dialogue mensuel au cours duquel le chercheur décrit un phénomène que le chef illustre d’une recette.
** On dit qu’il faut faire cuire du pain juste avant de faire visiter sa maison à des acheteurs potentiels ; pour les flemmards, il suffit de faire torréfier un peu de farine.
*** En anglais, presser se dit to squeeze, d’où le nom que je leur ai donné.