A moins que vous ayez la chance d’avoir un espace extérieur avec un petit potager dans lequel vous pouvez faire pousser de jolies choses, vous ne voyez probablement les têtes d’ail que sous leur forme séchée, leurs gousses couleur ivoire prisonnières d’une membrane fine comme du papier.
Mais imaginez-vous ceci : comme tout aliment séché, ces têtes d’ail ont un jour été pleines de vie et de sève, fraîchement sorties de la terre dans laquelle elles ont germé et poussé.
On appelle ça de l’ail frais ou de l’ail nouveau, et c’est un des signes enthousiasmants de l’arrivée du printemps sur les étals, à 2€ environ la tête (un peu plus si elle est bio) dans mon quartier*.
Ce n’est pas spécialement bon marché pour une seule tête d’ail (l’ail sec se conserve évidemment mieux et coûte donc moins cher à distribuer) mais la saveur des gousses d’ail frais est à la fois subtile et ardente, et elle s’accorde à merveille avec les autres petits légumes de printemps, tant les asperges que les petits pois ou les pommes de terre grenaille.
Bien que la taille des têtes d’ail frais soit comparable à celle des têtes d’ail sec, elles sont en réalité immatures — si on les faisait sécher, elle rétréciraient considérablement — et les gousses elles-mêmes sont assez petites, donc si on veut en avoir pour son argent, il faut utiliser la tête toute entière, façon nose-to-tail**.
Voici ce que j’en fais.
La partie tige, je la découpe et je la cuisine comme un poireau, en la faisant sauter avec d’autres légumes, ou en l’ajoutant à une soupe ou un bouillon. J’ouvre alors l’épaisse peau nervurée qui entoure les gousses (voir la photo tout en haut du billet), que j’émince finement et que j’utilise comme un oignon. Ces deux parties peuvent patienter quelques jours au réfrigérateur dans un contenant hermétique, ou être congelées, déjà émincées de préférence.
Ensuite, il s’agit de séparer les gousses les unes des autres : elles sont chacune entourées d’une membrane cireuse, que je découpe pour libérer les gousses à proprement parler, dont la peau est lisse et satinée, les plus petites à peine plus grosses que l’ongle de mon petit doigt.
Je garde ces gousses (à gauche ci-dessous) dans un ramequin dans la porte du réfrigérateur, prêtes à être utilisées dans les quelques jours qui suivent. En général, je les découpe en rondelles translucides à la mandoline ou au couteau — les passer au presse-ail me paraîtrait cruel — et soit je les fais dorer dans un peu d’huile, à rajouter ensuite au plat terminé, soit je les utilise crues dans une salade.
Quant aux membranes (à droite ci-dessus), j’en fais une crème d’ail tout à fait délicieuse.
Pour cela, j’amène de l’eau à frémissement dans une petite casserole, j’y jette les membranes, et je les égoutte dès la reprise du frémissement. Je laisse refroidir et sécher à l’air libre une heure environ, puis je les mixe avec la moitié de leur poids en huile d’olive, et un peu de sel.
On obtient une préparation crémeuse d’un beau jaune beurre, qu’il est doux d’avoir sous la main au frigo : on peut l’ajouter aux vinaigrettes, en napper des légumes sautés juste au moment de servir, ou en mettre une cuillerée sur un filet de poisson ou une pièce de viande. Ça marche aussi fameusement bien sur les canapés et autres crostini, en solo ou pour accompagner d’autres ingrédients.
Et vous, l’ail frais, vous en faites quoi ?
* Comme dans toutes les villes, le prix des aliments varie significativement d’un quartier à l’autre, en fonction du niveau de vie moyen de ses habitants. La zone autour de la rue des Abbesses et de la rue des Martyrs n’est pas la plus exhorbitante, mais pas la moins chère non plus.
** Littéralement, « du nez à la queue ». Cette expression anglaise, utilisée habituellement pour la viande, désigne l’approche qui consiste à exploiter la totalité de l’animal qu’on a abattu, et pas seulement les morceaux nobles.