Mon four et moi traversons actuellement une zone de turbulence, et je crains que nous n’en sortions pas indemne.
Voyez-vous, il se comporte de façon caractérielle depuis le début de l’automne, et s’il y a une chose dont je me passerais bien, c’est d’un four lunatique : un four qui met des années à préchauffer, qui s’arrête quand ça lui chante, refuse de se remettre en marche, ou brûle ce qu’on a le malheur de mettre un peu trop dans le fond. Ah oui, et j’allais presque oublier : un four qui choisit de fonctionner comme si de rien n’était en sifflotant lorsque le réparateur vient l’examiner*. Espiègle, non ?
A en juger par la quantité de jurons et de larmes de frustration que cette situation a engendrés, cela peut paraître héroïque, ou alors complètement inconscient, de tenter de faire un gâteau pour des invités. Mais les grand-parents de Maxence venaient prendre le thé ce dimanche-là, ils fêtaient chacun leur anniversaire, et j’avais en ligne de mire le cake au pavot sans farine de Lilo — autant de bonnes raisons de braver les frasques de mon four.
Je précise tout de même que Maxence est allé acheter un assortiment de macarons, histoire de parer à toutes les éventualités.
J’ai réduit les quantités dans la recette de Lilo pour utiliser les quatre oeufs que j’avais sous la main (au lieu de cinq), et je l’ai modifiée pour y mettre moitié beurre, moitié purée d’amande, et un peu moins de sucre. J’ai aussi aromatisé le gâteau avec le zeste d’une orange (plutôt que du sucre vanillé) et omis la levure, qui ne me semblait pas indispensable (les oeufs en neige suffisent à faire gonfler le gâteau). Enfin, je l’ai fait cuire dans le moule en forme de coeur que je tiens de ma grand-mère, et comme la pointe du coeur a un peu trop bruni (la faute à qui ?), j’ai rapidement improvisé un glaçage à l’orange en guise de camouflage (qui n’a d’ailleurs pas tout à fait pris comme il aurait dû ; je n’ai pas eu le temps de laisser le gâteau refroidir complètement avant de le glacer).
Sensible peut-être à l’importance de l’occasion, mon four m’a à peu près épargné ses sautes d’humeur (il ne s’est arrêté qu’une ou deux fois pendant que le gâteau cuisait) et nous avons pu apprécier ce gâteau merveilleusement parfumé, fin et moelleux, et dont les graines de pavot vous crépitent sous la dent à chaque bouchée, comme le frizzy pazzy en son temps.
Permettez-moi ce petit conseil d’ami, surtout si vous envisagez d’apporter ce gâteau au goûter de Noël de votre bureau, ou toute autre configuration sociale délicate : une fois que vous aurez fini votre part, éclipsez-vous et allez donc rectifier votre sourire dans le miroir le plus proche. La graine de pavot aime à se nicher dans les plus petits interstices bucco-dentaires.