Quand j’étais petite et que ma soeur et moi étions désoeuvrées et pétries d’ennui, ma mère nous préparait parfois de la pâte à sel pour faire du modelage. On s’asseyait à la petite table pliante de la cuisine, et on passait le reste de l’après-midi à tripatouiller avec bonheur. Les créations de ma soeur étaient invariablement plus délicates et plus ressemblantes que les miennes, mais je me souviens avoir un jour fièrement produit toute une série de fruits et légumes miniatures qui provoquaient une décharge saline quand on posait sa langue dessus, ce qui était irrésistible.
Rétrospectivement, je suis assez impressionnée par la façon dont ma mère arrivait à nous fabriquer une pâte à sel parfaitement malléable en quelques minutes, puis faire cuire nos figurines au four sans qu’elles ne brûlent ni n’implosent, à une époque où on ne pouvait évidemment pas chercher les instructions sur Internet*. Je ne me souviens pas non plus qu’elle ait possédé un bouquin du genre « 200 jeux amusants pour ne pas avoir vos enfants dans les pattes » — ou alors il était bien caché — donc je mets ça sur le compte de la magie maternelle.
En tout état de cause, le souvenir de ces séances enfantines m’est revenu d’un coup d’un seul lorsque j’ai fait des pâtes fraîches pour la première fois l’année dernière, en me servant de l’accessoire idoine que j’avais offert à mon KitchenAid (hum).
La pâte à pâtes est la plus agréable qu’il soit donné au cuisinier de manipuler : elle est soyeuse, souple et merveilleusement coopérative, et on pourrait passer des heures à la faire glisser entre les cylindres du laminoir et l’attraper sur sa paume ouverte pour la modeler, la plier et la découper en toutes sortes de formes différentes.
La recette que j’utilise s’appuie sur la formule que Michael Ruhlman propose dans son livre Ratio, que je vous recommande d’ajouter sur votre liste au Père Noël si vous lisez l’anglais. Pour la pâte à pâtes, il donne un ratio de 2 mesures d’oeuf pour 3 mesures de farine (en poids), ce qui donne d’excellents résultats. Je remplace généralement une partie de la farine par de la semoule fine, pour donner plus de corps aux pâtes, et j’ajoute aussi un peu de sel, pour un assaisonnement final plus uniforme.
On peut bien sûr jouer avec cette recette pour l’aromatiser ou la colorer — un peu d’encre de seiche dans la pâte, ça fait toujours son petit effet — mais je rejoins Michael Ruhlman lorsqu’il écrit que « à l’inverse des pains spéciaux, que l’on mange sans ornement, les pâtes sont généralement servies avec une sauce ou un assaisonnement, donc il faut avoir une bonne raison d’aromatiser sa pâte à pâtes, plutôt que d’ajouter les saveurs après cuisson. »
J’ai indiqué ci-dessus que j’avais investi dans une machine à pâtes (d’occasion) pour mon robot-pétrin, mais un rouleau à manivelle marche tout aussi bien, quoiqu’il soit généralement nécessaire, tout au moins quand on débute, de se faire aider par une bonne âme qui tournera ladite manivelle. L’un ou l’autre de ces outils ferait d’ailleurs un beau cadeau pour les branchés cuisine de votre entourage.
Ce dont vous pouvez vous passer en revanche, c’est d’un séchoir à pâtes : mes amis de Hidden Kitchen m’ont appris que de simples cintres en bois font parfaitement l’affaire — il faut juste penser à bien essuyer les traces de farine avant d’y remettre les pantalons de costume.
* J’imagine que dans un futur très proche, ce genre de déclaration provoquera l’incrédulité des jeunes enfants qui demanderont, « C’est vrai ? Il n’y avait pas Internet quand tu étais petite ? » et j’aurai l’impression d’avoir mille ans.
Pâtes fraîches faites maison
– 3 gros oeufs, environ 160 g sans la coquille
– 160 g de farine T65, ou le même poids que les oeufs
– 80 g de semoule de blé fine*, ou la moitié du poids des oeufs
– 3 g (1/2 c.c.) de sel fin
Pour 4 personnes.
Cassez les oeufs dans un bol posé sur une balance, pour les peser et ainsi déterminer le poids de farine et de semoule nécessaires.
Mettez la farine, la semoule et le sel dans un saladier. Formez un puits au milieu et versez-y les oeufs. A l’aide d’une fourchette ou d’un fouet danois, mélangez les oeufs en incorporant la farine petit à petit.
Quand le mélange est homogène, renversez-le sur un plan de travail fariné et pétrissez jusqu’à ce que la pâte soit lisse et douce — on compare traditionnellement la texture souhaitée à des fesses de bébé, non gercées j’imagine — 8 minutes environ. La pâte ne doit pas être collante ; ajoutez un peu de farine si nécessaire. Couvrez d’un torchon propre et laissez reposer 30 minutes. (On peut aussi préparer la pâte la veille et la mettre au frais.)
Divisez la pâte en 4 morceaux égaux. Prenez un des morceaux de pâte (laissez les autres sous le torchon pour éviter qu’ils ne sèchent) et applatissez-le en un disque ovale.
Préparez deux ou trois cintres en bois dont vous nettoierez la barre horizontale avant de la sécher et de la fariner.
Réglez votre rouleau à pâtes sur le niveau 1 (le plus large) et passez-y le morceau de pâte. Repliez-le en deux en ramenant les deux petits côtés l’un contre l’autre, et passez-le à nouveau, côté plié en premier. Répétez 3 ou 4 fois jusqu’à ce que la pâte soit souple ; ce processus revient à pétrir la pâte. Si elle devient collante, farinez-la légèrement.
Passez au réglage suivant (un cran plus étroit) et passez la pâte une seule fois pour l’affiner. Répétez avec les réglages suivants jusqu’à obtenir l’épaisseur souhaitée et un long morceau de pâte rectangulaire. Farinez-le légèrement, glissez-le sur la barre d’un des cintres, et laissez sécher à l’air libre pendant que vous vous occupez des autres morceaux de pâte.
(Si vous n’avez pas de rouleau à pâtes, peut-être que vous pouvez en emprunter un à un ami ? Sinon, remontez vos manches, sortez votre rouleau à pâtisserie, et étalez la pâte le plus finement possible.)
La pâte est maintenant prête à être découpée, soit en utilisant les lames de votre rouleau à pâtes pour faire des tagliatelle ou des spaghetti, soit à la main pour faire des ravioli ou toutes sortes de formes de pâtes. Vous pouvez aussi utiliser les rectangles de pâte tels quels pour faire des lasagnes ou des cannelloni.
Pour faire cuire les pâtes, plongez-les dans un grand volume d’eau bouillante salée. Mélangez délicatement dans un premier temps, pour éviter que les pâtes ne collent au fond de la casserole. Laissez cuire jusqu’à ce que les pâtes remontent à la surface : c’est le signe qu’il faut les goûter, puis, si elles sont cuites à votre goût, les égoutter et les mélanger à la sauce ou l’assaisonnement de votre choix.
Une fois que les pâtes sont découpées, on peut aussi les congeler. Faites-les cuire comme indiqué ci-dessus, sans décongélation.
* Si vous n’en avez pas, vous pouvez utiliser simplement 240 g de farine.