Tamami Haga, photographiée par Andy Andrews.
Tamami Haga est une Londonienne japonaise et une pâtissière passionnée qui tient un stand au Broadway Market de Hackney, East London. Elle est également l’auteur du très joli blog Coco & Me, que je lis depuis des années et qui combine des anecdotes de sa vie de pâtissière et des recettes délicieusement précises. J’aime beaucoup ses Brownies de luxe en particulier. Elle travaille en ce moment sur son premier livre de cuisine.
Tamami a deux enfants, et je suis ravie de l’avoir comme invitée pour ma série d’interviews Les Parents qui cuisinent. J’espère que vous réserverez à Tamami un accueil chaleureux ! (Entretien mené en anglais et traduit par mes soins.)
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes enfants ? Leurs noms, leurs âges et leurs tempéraments ?
Mon fils Issei a neuf ans et ma fille Sakura en a quatre.
Issei est un garçon gentil et sensible qui fera une moue de désaprobation s’il voit un papier sur le trottoir et qui le ramassera pour le jeter à la poubelle. Il est aussi très futé.
Sakura est une petite fille très drôle qui adore inventer ses propres paroles sur des airs connus. Elle dessine très bien. Et comme elle est japonaise, elle dit beaucoup « Trop mignon ! » et « Kawaii ! »
Est-ce que l’arrivée de tes enfants a changé la façon dont tu cuisines ?
Oui, ça a complètement changé ! Quand j’étais célibataire, je me fichais complètement de cette histoire de cinq fruits et légumes par jour. Je ne prenais jamais la peine de petit-déjeuner par exemple. Imaginez une jeune femme d’une vingtaine d’années allant boire des bières au pub en sortant du bureau… c’était moi !
Mais maintenant, évidemment, il ne s’agit plus de manger n’importe quoi n’importe quand. J’essaie constamment de préparer des vrais repas pour la famille. Mais de toute façon, je ne trouve pas ça ennuyeux ni fatiguant de cuisiner : je fais en sorte de me renouveler avec de nouveaux ingrédients, de nouvelles techniques ou de nouvelles recettes. Le weekend dernier, j’ai cuisiné de la joue de boeuf pour la première fois. Je l’ai fait mijoter doucement pendant deux heures et le résultat était incroyablement fondant.
Mais il arrive que ce soit raté, et que mes enfants ne veuillent pas manger ce que j’ai préparé. Mais on commente ensemble et ils me disent toujours : « Bravo Maman d’avoir essayé. » Je me dis alors : « Au moins j’ai essayé » et au moins ils voient que j’aime bien relever des défis. J’espère que cette façon de repousser ses limites et de ne pas abandonner est un bon exemple pour eux.
Sakura, 4 ans, avec un beignet maison en forme d’ourson
Au fil du temps, as-tu mis au point des recettes ou des stratégies qui te permettent de jongler entre la préparation des repas et les enfants ?
Ma stratégie numéro un consiste à utiliser mon congélateur de façon optimale.
Quand je fais les courses, j’achète en assez grandes quantités, surtout s’il y a des promotions. Ça permet de faire des économies et d’aller moins souvent faire les courses, et donc d’avoir plus de temps pour moi.
Une fois rentrée, je congèle immédiatement les aliments qui se congèlent bien. C’est mieux que de les garder au réfrigérateur parce qu’on perd moins de vitamines. Et bien sûr, ça se conserve plus longtemps et il y a moins de risque d’avoir du gâchis, puisqu’ensuite je ne sors que ce dont j’ai besoin. C’est difficile d’utiliser un paquet de 500 grammes d’épinards en un repas, non ? Maintenant que je congèle l’excédent, je n’ai plus de restes d’épinards qui dépérissent au frigo.
Je trouve que la meilleure façon de congeler les aliments est de les mettre en couche super fine dans un sachet de congélation zippé. Non seulement on gagne de la place quand on les empile, mais en plus comme c’est très fin, c’est facile d’en casser juste la quantité dont on a besoin. Ça congèle plus vite et ça décongèle très rapidement aussi — dix fois plus vite qu’un glaçon. Et pour gagner encore plus de temps et d’énergie, j’émince certains aliments avant de les congeler.
Par exemple, on peut faire une soupe miso express si on a au congélateur du bouillon dashi, des oignons nouveaux hachés, des tranches de champignon shiitake et des épinards. On réchauffe, on ajoute un peu de pâte de miso, et voilà, c’est prêt !
C’est bizarre d’y repenser aujourd’hui, mais pendant longtemps je considérais que le congelé était une option moins souhaitable. Mais en fait, si on sait ce qui se congèle bien ou pas, et si les aliments sont correctement emballés et rapidement congelés, c’est tout à fait avantageux. Par exemple, si on congèle des champignons shiitake, l’acide guanylique (qui est la source de l’umami) double ses effets.
En tout cas, c’est comme ça que je gagne du temps en cuisine pour pouvoir passer plus de bons moments avec les enfants.
Ci-dessous, ma « palette » de viande, légumes émincés, saumon pour mettre à l’intérieur des onigiri, divers bouillons et sauces. En plus de ça, je cuisine parfois certains plats comme les lasagnes en double, pour en congeler la moitié.
La palette congelée de Tamami
As-tu trouvé le moyen d’impliquer tes enfants dans ta cuisine ?
Pour les faire participer en cuisine, c’est peut-être bête, mais je fais parfois semblant de ne pas savoir faire les choses. Ça leur donne l’impression qu’ils ne sont pas seulement utiles mais essentiels. A d’autres moments, pour jouer, j’en fais mes petits apprentis et je leur donne des ordres : « Fais ci, fais ça. » Ça les amuse beaucoup et je vois qu’ils se donnent du mal pour être à la hauteur.
En plus de mettre la table, je leur demande toujours de rapporter leur vaisselle sale à la cuisine, parce que la nourriture, ce n’est pas que cuisiner et manger. C’est aussi une question de bonnes manières. Et je veux qu’ils comprennent les efforts qu’il faut faire, et qu’ils apprécient le fait d’avoir un repas chaud sur la table tous les jours.
Bien sûr, la meilleure façon de les impliquer est de les féliciter copieusement pour qu’ils aient envie de recommencer. Et si leur père n’est pas là, à son retour je ne manque jamais de lui dire qu’ils ont été formidables.
En tant que passionnée de cuisine, peux-tu nous parler des joies et des difficultés que tu as rencontrées en nourrissant tes enfants, et en essayant de leur apprendre à être des mangeurs heureux et audacieux ?
En ce moment, en famille, nous partons à l’aventure avec les fruits !
Presque tous les soirs après le dîner, j’apporte un fruit, souvent un fruit qu’ils n’ont jamais vu ni goûté, et je le découpe à table pour le dessert. Ils touchent la peau piquante du litchi, ils écoutent le son magnifique que ça fait quand on tape une grenade, ils sentent l’odeur enivrante de la nectarine mûre. Le bonus, c’est que mon fils sait maintenant découper une mangue en hérisson après m’avoir vue faire de nombreuses fois.
La semaine dernière, on a mangé de la papaye. L’étiquette disait qu’elle venait du Brésil. « Le Brésil ? C’est où ? » « C’est presque de l’autre côté de la Terre ! » « Waouh, elle a voyagé loin ! » A partir de là, on peut ouvrir l’atlas ou regarder une vidéo YouTube à propos du fruit en question. C’est très amusant de discuter ensemble du goût et de la texture, et partager cette expérience nous rapproche.
En plus d’en apprendre un peu sur la géographie, j’aimerais que les enfants comprennent la notion d’empreinte carbone. D’une façon ou d’une autre j’aimerais en venir à leur parler de l’empreinte eau aussi, mais je ne l’ai pas encore fait.
PS: Merci aux lecteurs de C&Z de m’avoir lue, et merci à Clotilde de m’avoir invitée !
Tamami xx
Issei, 9 ans, avec un beignet maison en forme de groin