James et Michael, photographiés par Donna Turner Ruhlman.
Les Parents qui cuisinent est une série d’entretiens dans lesquels mes invités me parlent de l’évolution de leur cuisine après l’arrivée de leur(s) enfant(s).
Michael Ruhlman est un écrivain américain dont le talent particulier consiste à décoder le travail des chefs pour rendre leur expertise accessible aux cuisiniers amateurs.
Il a publié une douzaine de livres en anglais, dont le best-seller The French Laundry Cookbook et le révolutionnaire Ratio, qui livre la formule d’un certain nombre de préparations de base, ce qui permet de se libérer des recettes. Son dernier s’appelle Ruhlman’s Twenty, et s’articule autour des vingt concepts et techniques fondatrices de la cuisine. Il tient aussi un excellent blog sur ruhlman.com.
Michael vit à Cleveland, en Ohio, avec sa femme la photographe Donna Turner Ruhlman, et leurs deux enfants adolescents. Je suis ravie de partager avec vous son point de vue passionnant sur la cuisine avec et pour les enfants. (Entretien mené en anglais et traduit par mes soins.)
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes enfants ? Leurs noms, leurs âges et leurs tempéraments ?
Addison a 17 ans, et son frère James en a 13. Addison n’est pas facile, mais elle est ravissante et intelligente, furieusement indépendante, et n’a qu’une envie c’est de sortir de la maison et d’être avec ses amies, qui sont d’une gentillesse rare. James est un garçon très garçon, il adore les jeux vidéo, s’amuser, et faire des farces. C’est un amour, il a beaucoup de conversation, il est mûr et plein d’empathie.
Est-ce que l’arrivée de tes enfants a changé la façon dont tu cuisines ?
Non, pas vraiment. J’apprenais tout juste à cuisiner de façon professionnelle, donc j’avais tous ces nouveaux muscles pour m’aider. Mais j’ai toujours cuisiné de la vraie nourriture. J’ai essayé de leur faire des vraies purées quand ils étaient petits, mais en général ils préféraient les petits pots du commerce. Ensuite, ils sont passés aux oeufs brouillés au fromage, et ensuite aux « nourritures blanches » [NdC : le pain, les pâtes, tout ce qui est raffiné.].
Au fur et à mesure qu’ils grandissaient et que leurs goûts changaient, il m’est arrivé de faire trois repas simultanément pour que tout le monde soit content. Simplement parce que je pouvais le faire. Le plat préféré d’Addison, c’est le stir-fry de boeuf [NdC : sauté de boeuf à l’asiatique], mais James n’aime pas ça, donc je découpe des steaks pour les faire à la poêle, et je tranche le reste pour le stir-fry. J’y mets du bok choy ou du brocoli, mais Addison préfère éviter et James ne le mange que cru. Vous voyez l’idée. Ça fait beaucoup de vaisselle.
Est-ce que tu te souviens ce que c’était que de cuisiner avec un nouveau-né ? As-tu des astuces ou des conseils pour les jeunes parents qui traversent cette phase ?
Dans les premiers temps, on peut essayer de caler les heures de repas quand ils dorment ou qu’ils sont occupés. S’ils acceptent de rester dans leur transat pendant que vous mangez, c’est encore mieux. Donna mangeait souvent tout en allaitant. On ne comptait plus les repas qui étaient interrompus ou écourtés.
Le conseil qui sauve ? Cette phase sera terminée plus tôt que vous ne le pensez. Les journées sont longues, mais les années passent vite.
Essayez de planifier au moins un repas au calme par semaine avec votre compagne/compagnon où vous pourrez vous attarder à table, même si ce n’est qu’un déjeuner.
Au fil du temps, as-tu mis au point des recettes ou des stratégies qui te permettent de jongler entre la préparation des repas et les enfants ?
J’ai appris à être un cuisinier plus fort, littéralement, parce qu’ils s’accrochaient à mes jambes quand je passais des fourneaux au plan de travail. L’une de mes profs de cuisine m’a raconté qu’elle avait manqué sa crème anglaise à cause de ses enfants accrochés à ses jambes, et elle n’en revenait pas d’avoir fait une telle erreur — c’était une chef excellente et pourtant, même elle a connu ce type de désastre.
Cuisiner avec des enfants dans les pattes est vraiment difficile, donc il faut faire simple. N’essayez pas de faire des saucisses ou de faire un gâteau avec un glaçage maison si vous savez que vous allez être interrompu sans arrêt. Les petits peuvent jouer avec des ustensiles — fouets, casseroles, etc. — pendant que vous cuisinez. Vous pouvez travailler pendant qu’ils jouent ou regardent la télévision ou font la sieste, sauf si vous avez besoin d’une sieste vous aussi. Achetez des plats préparés de bonne qualité s’il le faut, mais choisissez des plats qu’il faut réchauffer parce que les odeurs de cuisine détendent tout le monde.
Soyez organisé. Faites ce que vous pouvez en avance. Faites simple.
As-tu trouvé le moyen d’impliquer tes enfants dans ta cuisine ?
Je leur ai appris à cuire un oeuf et faire un sandwich grillé au fromage [NdC : un classique de l’alimentation des enfants américains, un peu comme notre croque-monsieur], deux ou trois préparations de base. Maintenant, je peux dire : « James, tu veux un sandwich grillé au fromage ? » Il répond : « Oui s’il te plaît. » Et je lui dis : « Le fromage et le beurre sont au frigo, et tu sais où est le pain. » Et je m’en vais. Ça l’énerve, mais il se fait son sandwich. Il se fait aussi ses propres oeufs brouillés, il pense à y mettre un peu de fromage, il se fait griller du pain, il se verse un verre de lait, et il regarde Myth Busters.
Apprenez-leur à cuisiner ce qu’ils aiment : trouvez quel est leur plat préféré et apprenez-leur comment le préparer. J’ai appris à Addison à faire un sauté de légume tout simple : elle fait sauter un mirepoix chinois (oignons nouveaux, ail, gingembre) et ajoute des poivrons, de l’oignon, du brocoli, tout ce qu’elle veut. Une sauce toute simple pour les raviolis asiatiques consiste à mélanger de la sauce de soja au gingembre et à l’ail, un peu de vinaigre et un peu de sucre. Elle en met sur son riz. C’est un repas sain qu’elle peut se faire toute seule.
Et quand vous avez une heure ou une après-midi de libre, faites des chouettes expériences, comme transformer de l’eau et de la farine en pâte, jouer avec la pâte, et la regarder lever par magie. Si on peut leur apprendre pourquoi ça lève, c’est encore mieux : « Des petites bêtes qu’on ne voit pas sont en train de manger la farine et de relâcher des gaz, oui oui, des gaz. Non, ce ne sont pas des vraies petites bêtes, ce sont des micro-organismes. » J’ai appris à James à faire une sauce hollandaise au blender, et lui et son copain n’en croyaient pas leurs yeux : « Comment ce beurre liquide a-t-il pu devenir opaque et presque solide ? » Donc je leur ai expliqué.
La première fois que j’ai fait du popcorn à la casserole, James était stupéfait. Il croyait que ça ne se faisait qu’au micro-onde. Ensuite, il me demandait à chaque fois de faire du « popcorn casserole ».
Il faut leur apprendre que la cuisine peut être un jeu, et ça leur donnera peut-être des idées étonnantes.
En tant que passionné de cuisine, peux-tu nous parler des joies et des difficultés que tu as rencontrées en nourrissant tes enfants, et en essayant de leur apprendre à être des mangeurs heureux et audacieux ?
Quand ils grandissent, il faut leur présenter de bons aliments, et leur corp choisira ce dont il a besoin. Quand ils traversent leur phase de nourritures blanches (qui est dictée par les lois de l’évolution), demandez-leur de tout goûter, mais ne les forcez pas à manger. Assurez-vous que vous leur proposez une grande variété d’aliments : les enfants aiment les fruits et les légumes crus, donc gardez ça à portée de main. Utilisez des vrais ingrédients, comme du beurre et non de la margarine. Achetez de bonnes baguettes.
Trouvez ce qu’ils aiment, et faites-les participer à la planification des repas. Addison est assez difficile, mais elle aime les pommes de terre au four et les choux de Bruxelles. James déteste les choux de Bruxelles, mais les tolère coupés finement et sautés à la poêle plutôt que bouillis. James aime la plupart de ce que je prépare en ce moment, c’est un bon mangeur. Il adore le bibimbap avec un oeuf au plat.
Je recherche des basiques faciles que tout le monde aime, surtout ceux qu’on peut préparer à l’avance. Des pâtes avec une sauce à la viande ou marinara et une salade, ou un mijoté de boeuf. Si vous arrivez à leur faire aimer les haricots secs, vous êtes verni ! Vous pouvez en faire des doubles rations pour en congeler. Vous pouvez aussi planifier des plats qui laissent beaucoup de flexibilité, comme des burritos à assembler soi-même à partir d’une sélection d’ingrédients.
La joie, c’est de leur donner des nourritures bonnes et saines qu’ils adorent. La difficulté, c’est de leur faire manger des nourritures bonnes et saines qu’ils goûtent mais ne veulent pas manger. Je me décourage parfois. Mais j’essaie de les exposer à une grande variété d’aliments. Parfois ça marche (James goûterait n’importe quoi et adore manger ; Addison trouve la plupart des aliments dégoûtants et se nourrit principalement de plats asiatiques et de chips de maïs).
Autre chose à ajouter ?
Je voudrais souligner combien c’est important de cuisiner à la maison, et pas seulement de manger ensemble. Permettre à vos enfants de vous voir cuisiner est une excellente chose. Mais les gens sous-estiment le pouvoir profond et humanisant des odeurs de cuisine dans une maison. Quand on rentre tard d’un entraînement et qu’on sent l’odeur du poulet qui rôtit au four, ça vous apaise sans que vous sachiez pourquoi. Je sais que quand l’huile crépite dans mon wok et que j’y jette les oignons nouveaux et l’ail et le gingembre, cette odeur monte jusqu’à l’étage et les enfants savent que le dîner est en route.
Mangez ensemble, mais ne parlez pas de l’école ou de choses déplaisantes. Parlez de ce qui se passe d’intéressant dans l’actualité, de sujets qui les concernent à leur âge. Demandez-leur s’ils sont témoins de racisme au centre commercial. Si l’application Snapchat est une bonne ou une mauvaise chose. Est-ce que les jeux vidéo violents entraînent de la violence dans la vraie vie ? Ont-ils une opinion sur l’action du Président ? Savent-ils que certaines personnes n’ont toujours pas retrouvé de domicile des mois après le passage de l’ouragan Sandy, et comment pensent-ils qu’ils réagiraient à cette situation ?
Quand vos enfants invitent des amis, ne les faites pas dîner séparément : invitez-les à votre table.
Apprenez à vos enfants d’où vient la nourriture.
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