Emily Mazo-Rizzi est une américaine qui vit à Paris depuis 1999, où elle a d’abord travaillé comme chef de projet Internet. Elle est ensuite rentrée aux Etats-Unis pour se reconvertir en professeur de Pilates grâce à une formation d’un an, et elle enseigne ainsi le Pilates à Paris depuis 2010. Elle est mariée à un français, Bruno, et la cuisine et la nourriture font partie intégrante de leur vie de couple.
Je connais Emily depuis dix ans, depuis nos tout premiers échanges à travers Chocolate & Zucchini, et au cours de cette décennie elle est devenue ma propre prof de Pilates et une amie précieuse. Sa fille Olivia étant née quelques mois seulement après mon fils aîné Milan, nous avons eu de nombreuses conversations sur les enfants et la parentalité, et je suis tellement admirative de sa façon d’impliquer Olivia en cuisine (vous verrez ci-dessous !) que je tenais à l’inviter pour ma série des Parents qui cuisinent. Elle a bien voulu accepter ma proposition et j’espère que vous serez tout aussi intéressés que moi par son approche. Merci Emily !
Olivia a deux ans et demi. Elle est facile à vivre, observatrice, calme, curieuse et douce. Elle aime bouger et rire et surtout, elle adore cuisiner avec nous. Elle est aussi hésitante à rencontrer de nouvelles personnes qu’elle l’est à découvrir de nouveaux mets, mais elle finit toujours par essayer et par apprécier.
Est-ce que l’arrivée de ta fille a changé la façon dont tu cuisines ?
Absolument. D’ailleurs, je pense qu’il n’y pas un seul aspect de ma vie qui n’ait changé depuis que j’ai un enfant ! Avant, mon mari Bruno et moi passions facilement plus d’une heure à préparer le dîner ensemble chaque soir. Nos repas n’étaient pas forcément très élaborés mais nous avions toujours deux ou trois petits plats, ou une entrée et un plat. Maintenant, nous faisons plutôt des repas autour d’un plat central, ou un plat plus une salade ou une entrée froide.
Comme j’enseigne le Pilates, il y a deux soirs par semaine où je travaille, et Bruno cuisine pour nous ces soirs-là. Les autres soirs, je commence à préparer le dîner pendant qu’Olivia mange, et Bruno prend le relais que je vais lui donner son bain. Nous ne sommes pas encore assez organisés pour dîner tous ensemble le soir en semaine, mais c’est le but que nous nous sommes fixé pour la rentrée prochaine.
Est-ce que tu te souviens ce que c’était que de cuisiner avec un nouveau-né ? As-tu des astuces ou des conseils pour les jeunes parents qui traversent cette phase ?
Quand j’étais en pleine phase de « nidification » en attendant l’arrivée d’Olivia, un de mes grands projets était de faire de la sauce tomate. Elle est née en octobre donc nous avions des bonnes tomates de notre maraîcher jusqu’à sa naissance. Bruno se moquait de moi car on achetait un ou deux kilos de tomates chaque semaine et je les préparais en sauce à congeler. Ça me rassurait de me dire que quand notre fille serait là, nous aurions au moins de la bonne sauce tomate maison à mettre sur des pâtes ou pour accommoder des légumes. Nous avons aussi préparé et congelé des portions de bouillon de poulet pour faire des risottos, des soupes et des sauces. Je pense que préparer soi-même un stock de nourriture en avance est une excellente manière de se préparer pour l’arrivé du bébé.
Ensuite quand Olivia est née, nous avons mangé plus de plats à emporter que nous n’en avons jamais mangé avant ou depuis ! Bruno a fièrement joué son rôle de « chasseur-cueilleur » en sortant dans un Paris froid, pluvieux et ensuite enneigé pour rapporter des choses faciles à préparer. Nous adorons les légumes, donc il y en avait toujours. Nous essayions aussi de doubler les quantités pour avoir des restes le lendemain.
Aux Etats-Unis, les amis et la famille apportent toujours à manger aux nouveaux parents. Comme j’aurais aimé que ça soit ainsi à Paris ! Si jamais j’ai un autre enfant, je pense que je serai plus directe et que je dirai aux amis qui viennent voir le bébé : « Ne vous embêtez pas avec un cadeau, apportez-nous plutôt à dîner ! » Plusieurs amis américains l’ont fait et qu’est-ce que nous étions reconnaissants !
Au fil du temps, as-tu mis au point des recettes ou des stratégies qui te permettent de jongler entre la préparation des repas et ta fille ?
Nous essayons de préparer la nourriture pour Olivia en avance. Nous avons commencé quand elle était bébé. Le dimanche nous avons l’habitude d’aller au marché, et nous utilisions alors nos légumes pour préparer des quantités industrielles de compote de pommes ou d’autres fruits, des purées de carottes ou de courgettes ou de pomme de terre, etc. Comme un autre parent de cette rubrique, Tamami Haga, nous congelons tout à plat dans des sachets Ziplocs : nous avons un petit congélateur et ça fait gagner de la place. (Si vous le faites, n’oubliez pas de tout étiqueter et dater !)
Maintenant qu’Olivia est sortie de la phase « purée », nous continuons à lui préparer ses repas en avance et de les congeler. C’est incroyable le nombre de préparations qui se congèlent bien ! Elle adore le chou-fleur rôti de Clotilde, sans la sauce de poisson ; j’en ai d’ailleurs fait hier soir. Maintenant qu’elle est plus grande, nous essayons de préparer une portion de notre dîner en plus que nous gardons pour son dîner du lendemain. Pour les féculents nous avons toutes sortes de pâtes, de riz, et d’autres type de céréales dans le placard. Je congèle aussi de la pomme de terre et de la patate douce cuisinées en purée. Je rajoute des légumes partout, par exemple : purée de pomme de terre ET courgette, purée de patate douce ET potimarron, omelette aux épinards ou aux blettes, etc.
Olivia était dans sa chaise haute dans la cuisine avec nous dès son plus jeune âge, donc elle est complètement habituée. En grandissant, elle jouait ou dessinait pendant que nous cuisinions ; je gardais des jouets spéciaux rien que pour la cuisine. Maintenant, elle mange quand nous cuisinons notre dîner, et elle aide à préparer son repas.
As-tu trouvé le moyen de l’impliquer dans ta cuisine ? Peux-tu nous dire comment tu t’y es prise, ce qui marche et ce qui ne marche pas ?
Olivia a commencé à cuisiner avec nous juste avant ses deux ans. J’ai commencé un samedi matin, sans contrainte de temps, et nous avons fait des sablés. Elle m’a aidée à sortir les ingrédients, à les mesurer, et à appuyer sur les boutons de la balance. Après, elle a appuyait sur les boutons du robot. Elle adore le voir tourner. Ensuite nous avons étalé puis découpé la pâte avec des emporte-pièce, et nous les avons mis sur la plaque. A un moment donné j’ai « sacrifié » un peu de pâte et elle a joué avec. Quand les sablés étaient prêts, elle a prononcé un « WAOUW ! » enthousiaste et s’est empressée de demander à goûter.
Maintenant nous lui confions autant de tâches que possible. Elle met le sel dans la casserole pour l’eau des pâtes ou du riz. Elle équeute les épinards — un super jeu de tri — et elle adore les laver. Elle sort des sacs les aliments congelés et découvre comme c’est froid et humide. Elle coupe le beurre pour le mettre dans son riz ou une autre céréale. Nous lui apprenons à verser avec soin, à remuer, à battre et même à couper. Bruno lui fait mettre sa petite main sur la sienne sur le couteau et elle guide le mouvement quand il coupe des aliments mous comme de la betterave ou de l’avocat. Elle sait qu’il faut pousser, et elle dit « Pouuuuuusse ! » Quand je découpe quelque chose, elle me dit « Attention les doigts, Maman! » Elle adore arroser d’huile d’olive les légumes à griller. Elle sort aussi les aliments du frigo ou du placard quand on le lui demande, et les remet bien à leur place.
Je pense que de l’avoir en cuisine avec nous fonctionne car elle a compris que c’est un lieu important pour notre famille ! Nous lui avons appris que cuisiner est un privilège, et elle sait si elle n’écoute pas nos instructions, elle risque de perdre ce privilège. Elle a été tellement contrariée quand c’est arrivé que ça n’arrive quasiment jamais.
En tant que passionnée de cuisine, peux-tu nous parler des joies et des difficultés que tu as rencontrées en nourrissant ta fille, et en essayant de lui apprendre à être une mangeuse heureuse et audacieuse ?
Nous avions tellement hâte qu’Olivia commence la diversification : nous imaginions qu’elle ouvrirait la bouche, goûterait, avalerait et en redemanderait. Nous avons été extrêmement déçus ! La purée de carottes s’apparentait pour elle à une forme de torture. Cette première expérience était une bonne illustration des hauts et des bas de l’apprentissage de la nourriture avec un enfant. Quand ils essaient quelque chose pour la première fois, je pense que c’est important de rester calme et de ne pas se sentir vexé s’ils rejettent le plat que vous venez de passer des heures à lui préparer. Congelez les restes et réessayez encore et encore. Je ne sais plus où j’ai entendu ça, mais un pédiatre disait qu’un enfant doit essayer un aliment trente fois avant de déterminer s’il l’aime ou pas !
Olivia est souvent réfractaire quand il s’agit d’essayer de nouveaux aliments. Nous lui demandons de goûter une seule bouchée ; parfois elle accepte, parfois non, et nous ne l’obligeons pas à terminer si elle ne veut pas. Nous savons maintenant que même si elle résiste, elle finit toujours par goûter et la plupart du temps à aimer.
Nous sommes plus stricts quand nous sommes à la maison sur le fait qu’elle mange tout son repas avant de passer au yaourt ou au fruit. Par contre, quand nous sommes au resto ou chez des amis, nous lui proposons de tout et ne faisons pas d’histoires si elle ne mange pas un repas équilibré. Apprendre à choisir ses batailles est la clé quand on élève un enfant, et c’est aussi très utile pour que le repas soit un moment agréable.
Comme avec tout, les enfants apprennent par l’exemple. Bruno et moi voyons le moment du repas comme un temps précieux de détente, un moment pour partager de bonnes et de nouvelles choses en famille. Nous lui servons les choses que nous mangeons nous-mêmes, et nous l’encourageons à goûter au moins les nouvelles saveurs. Elle veut faire comme nous, elle veut manger ce que nous mangeons. Nous lui donnons même des choses que nous n’aimons pas, comme les betteraves ou le yaourt de brebis, et elle adore. Nous avons peut-être besoin de les regoûter trente fois nous aussi !