Tout ça, c’est la faute de mon neveu.
C’est à peu près au moment de sa naissance, il y a quelques mois, que j’ai décidé de prendre cette affaire de pêche durable au sérieux. Si je veux que le petit prince et ses futurs cousins puissent vivre d’amour et d’ailes de raies, il m’appartient de faire des choix responsables aujourd’hui.
Bien sûr, j’avais déjà entendu parler de l’appauvrissement des océans, mais je crois que je n’avais pas bien mesuré la gravité de la situation : les réserves de poissons à travers le monde sont menacées par la surpêche, la surconsommation, la pollution, et des techniques de pêche qui détruisent les écosystèmes locaux. Si on n’agit pas dès maintenant, certaines espèces pourraient disparaître d’ici 2050.
Comme tous les problèmes environnementaux, celui-ci est d’une complexité abyssale — les causes en sont multiples, tout comme les implications, les effets secondaires, et les dommages collatéraux. Et si on prend en compte d’autres considérations tout aussi primordiales, tels que les taux de mercure, PCB et autres contaminants, ainsi que la nécessité de favoriser les produits locaux, l’affaire se corse et devient franchement décourageante, avouons-le. Tout le monde n’a pas vocation à devenir un expert en écologie marine, ni le temps, ni l’envie de décoder les rapports desdits experts.
Il est peut-être tentant alors de jeter l’éponge en se disant, « Je ne suis qu’une seule personne de rien du tout, je ne peux pas changer le monde, et de toutes façons, ce steak de thon rouge sur l’étal ou sur le menu a déjà été pêché, donc autant le manger. »
Eh bien non, justement. Il vaut mieux ne pas le manger, parce qu’on se trouve face à l’éternel problème de l’oeuf et de la poule (ou du caviar et de l’esturgeon, c’est presque pareil). Les restaurateurs et les poissonniers ne sont pas payés pour sauver la planète; ils sont payés pour répondre à la demande du client.
Et si ce que veut le client, c’est être sûr que le poisson ou le crustacé qu’il achète a été élevé et/ou pêché selon les principes du développement durable (c’est-à-dire d’une façon qui garantit que le volume de la population se maintient ou augmente, et dans le respect de l’écosystème auquel elle appartient), il deviendra économiquement profitable pour le restaurateur et pour le poissonnier de s’en soucier.
Alors, que faire ?
Tout d’abord, on peut se procurer un guide de consommation indiquant les espèces à privilégier, celles qu’il faut consommer avec modération, et celles à éviter. Cette liste varie selon la région du monde, et donc selon les produits de la mer disponibles là où on habite. Elle peut aussi changer au fil du temps en fonction de l’évolution des ressources halieutiques*; il faut donc s’assurer qu’on utilise bien l’édition la plus récente.
Le WWF propose une liste de guides pour les pays européens, l’Aquarium de la Monteray Bay en propose plusieurs pour les Etats-Unis et ce site en donne quelques autres.
J’ai un exemplaire du guide français dans mon porte-monnaie, à utiliser au restaurant ou chez le poissonnier, et j’en ai collé un autre sur mon réfrigérateur qui me sert d’anti-sèche lorsque je consulte des recettes.
(D’ailleurs, ce serait formidable si ces dépliants pouvaient inclure une grille d’équivalences : « Si votre recette fait appel à du [espèce à éviter], utilisez plutôt du [espèce à privilégier]. » J’ai trouvé quelque chose de similaire sur le site de l’Environmental Defense Fund, mais je n’ai pas trouvé de version française.)
Le conso-guide est un bon début, mais comme il s’agit d’une représentation manichéenne d’une situation qui est toute en niveaux de gris, ça ne suffit pas : vous risquez fort de rencontrer des produits de la mer qui n’y figurent pas, ou alors pas sous le même nom, et les appellations approximatives — quand elles ne sont pas tout bonnement mensongères — sont légion.
La seule solution est alors de poser des questions, que ce soit à la poissonnerie ou au restaurant : de quelle espèce s’agit-il, d’où vient-elle, comment a-t-elle été élevée/pêchée ?
Ce n’est pas la chose la plus facile qui soit, j’en conviens, surtout en France, où les vendeurs et les serveurs s’agacent vite, et où la curiosité n’est pas toujours bien accueillie. Il faut donc s’efforcer d’adopter juste le ton qu’il faut pour ne pas avoir l’air arrogant, en montrant néanmoins à quel point c’est important.
Et il faut espérer que si nous sommes suffisamment nombreux à manifester notre préoccupation, les poissonniers et les restaurateurs poseront à leur tour davantage de questions à leurs fournisseurs — ne serait-ce que pour avoir la paix.
Enfin, ce que nous pouvons tous faire, c’est en parler autour de nous. Finalement, peu de gens ont vraiment conscience du problème, et en tant que gourmands passionnés, en tant que cuisiniers enthousiastes, nous sommes particulièrement bien placés pour sensibiliser nos amis, parents, collègues, et, pour ceux d’entre nous qui tiennent un blog, nos lecteurs. Non pas à coup de discours moralisateurs, évidemment, mais plutôt en évoquant le sujet lorsque l’occasion s’y prête — au restaurant, en faisant les courses, dans la cuisine, ou à table.
Et vous ? Comment vivez-vous le problème de l’appauvrissement des océans ? Quelles sont vos stratégies ou réflexions pour une consommation responsable des produits de la mer ?
* Chic, un nouveau mot ! Halieutique, ça veut dire « qui concerne la pêche. »
Plus d’infos ?
– La surpêche, sur Wikipédia.
– Eléments de réflexion sur la pêche durable, sur le site de l’Ifremer (l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).
– Pour une pêche durable, le site français du Marine Stewardship Council, qui est à l’origine de l’écosociolabel MSC.
– un guide à l’usage du consommateur responsable édité par Greenpeace.
D’autres liens sont proposés à la fin de la version anglaise de ce billet, The Sustainable Seafood Dilemma.