Comment déguster le chocolat

La semaine dernière, je me suis rendue à Tain-l’Hermitage, une petite ville non loin de Valence, au beau milieu des vignes (Hermitage et Crozes-Hermitage) et des vergers (pêches, cerises, abricots). Mais moi, j’étais là pour le chocolat : c’est en effet à Tain que se trouve le siège de Valrhona, dont on m’avait proposé de visiter le site de production.

Nous avons revêtu l’uniforme glamour du visiteur d’usine (blouse en intissé, charlotte en papier, surchaussures plastifiées) et passé une bonne partie de la journée de salle en salle, à admirer les énormes machines, les gros sacs de fèves de cacao et les rivières de chocolat, dans les vapeurs puissantes que dégage le cacao lorsqu’il est soumis à la série de supplices (lavage, dépierrage, torréfaction, concassage, broyage, conchage, moulage, refroidissement, emballage) qui le feront passer de l’état de fève amère au voluptueux antidépresseur que nous connaissons bien.

Et la seule chose que j’aime plus que le chocolat, c’est être invitée en coulisses pour comprendre comment les trucs marchent, donc j’étais sur un petit nuage cacaoté — le seul bémol étant le réveil à 4h45 pour prendre le train, mais il faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

La plupart des composés aromatiques du chocolat sont « emprisonnés » dans le beurre de cacao, et ce n’est que lorsque le chocolat fond qu’ils sont libérés. Et comme la nature est bien faite, l’intérieur de la bouche est juste à la bonne température pour que cela s’y produise.

Pour clore cette journée bien remplie, on a eu droit à une petite séance de dégustation avec Vanessa Lemoine, l’experte maison en analyse sensorielle, une discipline qui consiste à utiliser les cinq sens pour décrire, analyser et positionner les produits.

Son rôle chez Valrhona est entre autres de former les dégustateurs de chocolat qui évaluent les échantillons (10 kilos) qui sont envoyés avant l’achat de tout lot de cacao. En effet, les fèves de chaque origine doivent se conformer à un profil gustatif précis établi en fonction du terroir, de la variété de cacao, et des méthodes de production sur lesquelles Valrhona et le planteur se sont mis d’accord. Si l’échantillon est significativement différent de ce profil étalon, Valrhona n’achète pas le lot. Ceci leur permet de s’assurer que la qualité et la personnalité de chaque chocolat ne varient pas, et ainsi garantir cette même constance à leurs clients chocolatiers et pâtissiers qui ont créé leurs recettes autour de tel ou tel chocolat.

La difficulté, c’est qu’on ne peut pas juger du potentiel d’une récolte sur la base de la simple fève : à ce stade, le cacao ne présente que des précurseurs d’arôme, qui seront révélés à la mise en oeuvre seulement. Il faut donc faire passer les échantillons par une mini chaîne de production, pour obtenir un chocolat qui sera ensuite dégusté par le jury d’experts et noté selon une trentaine de descripteurs.

Il faut de nombreuses sessions de formation pour développer la finesse de palais nécessaire à cette tâche-là, mais Vanessa Lemoine nous a fait une petite initiation à la dégustation du chocolat, et j’ai trouvé ça tellement intéressant que j’ai pensé que vous partageriez sans doute mon enthousiasme. La méthode se rapproche par certains points de la dégustation du vin, donc si vous êtes un peu œnophile à vos heures, vous avez déjà pas mal de cartes en main.

Comme vous le savez sans doute — je crois avoir appris ça en primaire — on estime que 90% de ce qu’on appelle le « goût » des aliments dans le language courant est en fait perçu par le nez : par voie directe d’abord, lorsque l’on inspire l’odeur des aliments, puis par voie indirecte, une fois que l’aliment est en bouche, lorsque l’on expire par le nez un air chargé des nouvelles molécules aromatiques libérées par la mastication. C’est cette deuxième phase que l’on appelle rétro-olfaction.

La bouche elle-même perçoit le frais, le chaud et l’épicé, tandis que les récepteurs de la langue sentent l’acide, le sucré, le salé et l’amer*.

Vanessa Lemoine préconise de goûter un même chocolat en deux ou trois prises, en cassant un petit morceau (un tiers de carré environ) avec les doigts à chaque fois : il se passe beaucoup de choses dans la bouche et le nez pendant la dégustation, donc on a besoin d’essais successifs pour se concentrer sur les différents aspects. Elle déconseille aussi de déguster plus de quatre ou cinq chocolats pendant une même séance, pour éviter la saturation.

On commence par regarder le chocolat : on note s’il est brillant ou mat, et de quelle tonalité de brun il est : laiteux, acajou, ébène ? On prête aussi attention à sa consistance lorsqu’on le casse : se brise-t-il avec un claquement net, ou est-il plutôt souple ?

Même s’il est intéressant de respirer le chocolat à ce stade et de noter ses impressions, il n’y aura probablement que peu à dire : la plupart des composés aromatiques du chocolat sont « emprisonnés » dans le beurre de cacao, et ce n’est que lorsque le chocolat fond qu’ils sont libérés. Et comme la nature est bien faite, l’intérieur de la bouche est juste à la bonne température pour que cela s’y produise.

Ensuite, on se met un petit morceau de chocolat dans la bouche, on mâche brièvement pour accélérer la libération des arômes, puis on laisse le chocolat fondre entre la langue et le palais, et on se concentre sur ses sensations.

Le premier élément qui se manifeste est l’acidité : si le chocolat est acide (ce qui n’est pas un défaut, sauf si ça prend le pas sur tout le reste), il déclenche une salivation immédiate, que l’on ressent sur les côtés de la langue et en dessous. On note l’ampleur de cette sensation, et si elle disparaît rapidement ou persiste au cours de la dégustation.

On expire doucement par le nez avec la bouche fermée, et on tente de décrire les arômes que l’on perçoit par rétro-olfaction. Ils apparaissent par phases : en attaque, on a les notes les plus fugaces de fleur ou de fruit, suivies par des notes plus chaudes d’épices, de fruits secs grillés, ou de pain grillé. Des notes boisées, maltées ou de terre peuvent apparaître en fin de bouche. Vanessa Lemoine précise que pour elle, la présence d’arômes fumés est toujours un défaut.

Les arômes apparaissent par phases : en attaque, on a les notes les plus fugaces de fleur ou de fruit, suivies par des notes plus chaudes d’épices, de fruits secs grillés, ou de pain grillé.

Il faut essayer d’être aussi précis que possible en décrivant ces arômes : si on sent quelque chose de fruité, s’agit-il de fruits rouges ou jaunes ou d’agrumes ? Est-ce que c’est un arôme de fruit frais ou secs ou confits ? Si le chocolat est fleuri, est-ce que c’est plutôt jasmin, rose, fleur d’oranger ? On note aussi l’intensité de chaque arôme. C’est une vraie gymnastique mentale que d’arriver à poser un nom sur un arôme que l’on perçoit, et c’est parfois difficile, mais on s’améliore avec la pratique. On gagne d’ailleurs à mener ce type de dégustation à plusieurs, puisque l’on peut échanger ses impressions.

L’amertume monte en fin de bouche, et elle devient de plus en plus marquée et persistante au fil de la dégustation. Elle est perçue par des récepteurs placés à l’arrière de la langue en forme de V (pointé vers la gorge**), donc il faut être attentif à la sensation dans cette région de la bouche : est-elle forte ? est-ce qu’elle perdure ?

On note aussi la consistance du chocolat en bouche : est-il sec et cassant (ce qui n’est pas une bonne chose), ou bien leste et frais, ou bien alors crémeux, au point de couvrir la langue et le palais ?

On goûte un deuxième et éventuellement un troisième morceau de chocolat, jusqu’à ce qu’on pense en avoir exploré tous les aspects. On peut alors essayer de décrire l’impression générale qu’on en garde, en s’inspirant éventuellement des termes utilisés chez Valrhona pour décrire leurs chocolats — rond, chaud, fruité, frais, acidulé, floral, boisé, tannique, doux, amer, caramélisé, puissant, intense, équilibré, élégant, voluptueux, crémeux, cacaoté… — et en faisant appel à des adjectifs moins flatteurs en cas de besoin.

Entre chaque chocolat, on remet les compteurs à zéro en buvant de l’eau fraîche et/ou en mangeant de la mie de pain ou des lamelles de pomme.

Cette méthode nous a été décrite dans le contexte d’une dégustation de chocolat nature, c’est-à-dire non aromatisé (à part une touche de vanille ou de malt, souvent utilisés dans la fabrication du chocolat), mais je pense qu’on doit pouvoir l’appliquer pour déguster une tablette garnie, une ganache parfumée, ou tout autre bonbon de chocolat.

* Vanessa Lemoine n’a pas évoqué le cinquième goût, l’umami, mais je ne doute pas qu’elle en connaisse l’existence. Comme c’est encore un sujet controversé, peut-être a-t-elle choisi de ne pas en parler pour éviter un débat qui nous aurait détournés du but de la séance.

** Les baies sauvages non comestibles étant amères, la formation en V a probablement pour fonction de servir de barrière, permettant au cueilleur de recracher sa bouchée avant qu’il ne soit trop tard.

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